Conjoncture : 4 experts se penchent sur les défis de la croissance mondiale
Taux bas, marchĂ©s actions chers, inflation limitĂ©e, endettement record⊠le contexte macro-Ă©conomique est peu orthodoxe. Quatre Ă©conomistes donnent leur avis tranchĂ© sur les diffĂ©rents sujets dâinquiĂ©tude des investisseurs.
Quelle croissance mondiale pour demain ? Est-on en prĂ©sence de bulles sur les actifs financiers ? Quel potentiel pour le gĂ©ant chinois ? Lâinflation va-t-elle reprendre ? Comment sortir des politiques monĂ©taires expansionnistes ?
RĂ©unis en table ronde lors de la JournĂ©e du Cercle des Analystes IndĂ©pendants, VĂ©ronique Riches-Flores de RochesFlores Research, Christopher Dembik de Saxo Bank, Jean-Pierre Petit des Cahiers Verts de lâĂconomie et Pierre Sabatier de PrimeView ont passĂ© en revue les principales prĂ©occupations des investisseurs.
Croissance mondiale satisfaisante : « les taux de marge des entreprises se maintiennent à des niveaux trÚs élevés »
Au deuxiĂšme trimestre 2017, la croissance mondiale a atteint un rythme annualisĂ© de 4,2 % en paritĂ© de pouvoir dâachat. Ce chiffre devrait se stabiliser Ă 3,8 % sur le troisiĂšme et quatriĂšme trimestre de lâannĂ©e. Si ce niveau est satisfaisant, il nâest pas le seul Ă©lĂ©ment Ă prendre en compte. PremiĂšrement, « la croissance est trĂšs bien rĂ©partie au niveau mondial », souligne Jean-Pierre Petit. En effet, les zones dâamĂ©lioration sont principalement la zone euro et les pays Ă©mergents hors Chine, qui Ă©taient en retrait jusque-lĂ . « Il y a encore un an, trois gros pays Ă©mergents Ă©taient en rĂ©cession : lâArgentine, la Russie et le BrĂ©sil, prĂ©cise Jean-Pierre Petit. Ils sont bien remontĂ©s. Quant Ă la zone euro, en termes de momentum de surprise, câest celle qui a donnĂ© le plus de satisfaction parmi les grandes zones. Et au sein de cette zone, ce sont la France, lâItalie et le Portugal qui ont le plus surpris en bien. » DeuxiĂšme point rassurant : lâabsence de dĂ©sĂ©quilibre majeur. « Ă mon sens il nây a pas de bulles sur lâimmobilier et les actions », estime Jean-Pierre Petit.
Tant que les conditions macro-financiĂšres restent bonnes, en particulier la politique monĂ©taire, la trajectoire actuelle devrait donc se poursuivre. « Les entreprises vont continuer Ă investir si les taux de marge restent bons, selon Pierre Sabatier. Or, ils se maintiennent Ă des niveaux extrĂȘmement Ă©levĂ©s. Aux Ătats-Unis, ils sont Ă des sommets historiques et en Europe les marge continuent de se reconstituer. »
La situation aux Etats-Unis dĂ©route tant le cycle haussier semble perdurer. Une inquiĂ©tude balayĂ©e par Pierre Sabatier. « On parle tous de fin de cycle parce que cela fait longtemps que ça dure mais pour que ça sâarrĂȘte il faut des raisons », estime-t-il. La premiĂšre dâentre elles serait un durcissement sĂ©vĂšre de la politique monĂ©taire, « une erreur Ă nos yeux, qui prĂ©cipiterait les Etats-Unis vers une fin de cycle, prĂ©cise Pierre Sabatier. Mais nous nây croyons pas ! »
Des sujets dâinquiĂ©tude en Chine : « la capacitĂ© dâentraĂźnement de lâĂ©conomie chinoise est terminĂ©e »
Dans ce panorama rassurant, un pays concentre toutes les attentions : la Chine. Les chiffres de croissance se sont maintenus jusquâau XIXe CongrĂšs du parti communiste chinois en octobre dernier mais les inquiĂ©tudes devraient ressurgir Ă court terme maintenant que cette Ă©tape politique clĂ© est passĂ©e. Or, « si la Chine tousse, tous les pays Ă©mergents sâenrhumeront via le levier des matiĂšres premiĂšres, souligne Pierre Sabatier. Rappelons que ce pays pĂšse 40 % de la demande mondiale de commodities, principalement industrielles. Si la croissance chinoise ralentit, les prix vont baisser ce qui va peser sur les Ă©conomies des pays producteurs, essentiellement des Ă©mergents. »
Chez Saxo Bank, rĂ©cemment rachetĂ© par le constructeur automobile chinois Geely, on surveille Ă©galement la zone comme le lait sur le feu. La recherche de la banque se concentre sur un indicateur, le Credit Impulse. Ce dernier rapporte les flux de nouveaux crĂ©dits Ă©mis par le secteur privĂ© au PIB. « Câest un indicateur avancĂ© qui donne une direction pour lâĂ©conomie 9 Ă 12 mois en avance, explique Christopher Dembik. Or, au deuxiĂšme trimestre 2017, le credit impulse sâest contractĂ© de 20 % par rapport Ă 2016. Cela devrait se ressentir dans les chiffres de la croissance mondiale dâici le deuxiĂšme ou troisiĂšme trimestre 2018. »
LâinquiĂ©tude est partagĂ©e par VĂ©ronique Riches-Flores. « La Chine a perdu son potentiel de croissance Ă lâexportation, constate lâĂ©conomiste. Le pays cherche Ă obtenir une croissance plus domestique Ă coup dâendettement excessif. En sept ans, la Chine a rĂ©alisĂ© ce que les Ătats-Unis ont fait en cinquante ans en termes de dette. Cela a servi la rĂ©cente croissance mais ce qui est consommĂ© est consommĂ© ! Ăa veut dire que la capacitĂ© dâentraĂźnement de lâĂ©conomique chinoise, en particulier du reste du monde Ă©mergent, est terminĂ©e. La demande internationale de matiĂšres premiĂšres va rester anĂ©mique ; les prix vont rester bas. »
Le pire nâest pas Ă craindre : « un ralentissement lent et graduel est une bonne chose »
Une situation tempĂ©rĂ©e par Jean-Pierre Petit. « La Chine nâest plus un pays pauvre !, estime-t-il. Au rythme de croissance actuelle, ce sera un pays riche, au sens du FMI, au cours de la prochaine dĂ©cennie. La Chine doit ralentir Ă cause de ses surcapacitĂ©s, de son surendettement et du vieillissement de sa population. Un ralentissement lent et graduel est finalement une bonne chose. »
Ă ce stade, le bilan de Xi Jinping est encourageant. Le prĂ©sident chinois a entamĂ© de nombreuses rĂ©formes pour moderniser son pays : lutte contre la corruption, rĂ©forme des entreprises publiques, Ă©limination des surcapacitĂ©s industrielles⊠Les rĂ©sultats des efforts passĂ©s donnent, selon Jean-Pierre Petit, des Ă©lĂ©ments dâespoir sur la capacitĂ© de rĂ©sistance futur.
Une rĂ©sistance primordiale car un dĂ©crochage brutal de lâĂ©conomie chinoise aurait un fort impact sur lâappĂ©tit pour le risque. « Je rappelle que les deux grosses derniĂšres corrections sur les marchĂ©s mondiaux sont venues de la Chine », alerte lâĂ©conomiste.
Pas dâinflation, pour longtemps : « on peut avoir des situations de plein-emploi et pas de pression inflationniste »
Les quatre Ă©conomistes sont unanimes sur le sujet : tous les Ă©lĂ©ments sont rĂ©unis pour maintenir durablement lâinflation Ă un niveau bas dans les pays dĂ©veloppĂ©s.
Selon Pierre Sabatier, la rĂ©volution dĂ©mographique est au cĆur du sujet de lâinflation. « Le vieillissement des pays riches explique pourquoi la rĂ©surgence de la croissance nâentraĂźne pas dâinflation, explique-t-il. Je rappelle quâen France, les plus de 65 ans sont 12 millions aujourdâhui, et quâils seront 16 millions en 2030. Câest le sujet actuel ! »
Lâexemple du Japon est Ă ce titre probant. « Le Japon est en plein-emploi depuis toujours et pourtant le pays ne connaĂźt pas de pression inflationniste. Naturellement, plus vous avancez en Ăąge et plus vos revenus sont Ă©levĂ©s. Les gens qui sortent du marchĂ© de lâemploi sont donc remplacĂ©s par des gens moins nombreux et moins chers. On peut donc avoir des situations de plein emploi et pourtant pas de pression inflationniste. »
De plus, les pays Ă©mergents ne portent pas non plus le niveau des prix. « Cela rejoint ce que je disais sur la Chine, appuie VĂ©ronique Riches-Flores. Les prix des matiĂšres premiĂšres ne se redressent pas. Or, lâĂ©nergie explique dans nos Ă©conomies 5/10e de lâinflation annuelle. »
Une interrogation de long terme : « on ne va pas résoudre le problÚme de la dette, on va vivre avec »
VĂ©ronique Riches-Flores pousse la rĂ©flexion plus loin. « Si on regarde les donnĂ©es sur le trĂšs long terme, depuis 300 ans, lâinflation nâa jamais existĂ©. Elle est apparue dans les annĂ©es 1960, elle a connu un pic dans les annĂ©es 1980â et elle redescend depuis. » Et de poursuivre son raisonnement. « Le crĂ©dit permet de consommer avant lâheure et créé donc un dĂ©sĂ©quilibre de demande par rapport Ă lâoffre qui fait augmenter les prix. Or, on arrive Ă la fin dâun cycle dâendettement car on ne peut plus aller plus loin. De ce fait, on perd ce facteur dâalimentation de la demande et donc de lâinflation. Câest une question de fond qui va de pair avec le vieillissement de la population et lâabaissement gĂ©nĂ©ralisĂ© du niveau de croissance de lâĂ©conomie mondiale. »
De plus, les Ă©conomies sont contraintes par leur niveau dâendettement. Les taux doivent rester bas ! « Les investisseurs demandent souvent comment on va rĂ©soudre le problĂšme de la dette, relate Jean-Pierre Petit. On ne va pas le rĂ©soudre, on va vivre avec. Aussi fou que ça puisse paraĂźtre le service de la dette mondiale baisse grĂące Ă lâallongement de la maturitĂ© des emprunts et la baisse des intĂ©rĂȘts. »
De possibles mauvaises surprises : « Le sujet clĂ© câest la discrimination au sein des classes dâactifs »
Pour Pierre Sabatier, lâobjectif dâinflation de 2 % devrait dâailleurs ĂȘtre revu car il nâest plus en ligne avec le niveau de croissance des Ă©conomies dĂ©veloppĂ©es. Le maintien de ce niveau oblige Ă des politiques de quantitative easing, ce qui reflate (relĂšve) les prix des actifs financiers. Pour le plus grand bonheur des investisseurs. Principal problĂšme : « il nây a plus de valorisation du risque, estime Pierre Sabatier. On ne fait plus la diffĂ©rence entre les bons et les mauvais dossiers : câest la macroĂ©conomie qui tire les prix. Quand la fin de cycle de lâĂ©conomie rĂ©elle va arriver on va repĂ©rer les cadavres cachĂ©s dans les placards ! Jâai militĂ© pour la gestion passive mais aujourdâhui ce nâest plus le cas. Le sujet clĂ© câest au contraire la discrimination au sein des classes dâactifs. »
Pour VĂ©ronique Roches-Flores, le risque de mauvaise surprise est rĂ©el. « DerriĂšre cette bonne tenue des marchĂ©s financiers, on nâest pas trĂšs Ă lâaise dans le choix des secteurs sur lesquels investir, remarque-t-elle. Veut-on aller sur la banque avec les taux bas ? Lâautomobile alors que le cycle est derriĂšre nous ? Les industrielles alors que la dynamique du commerce mondial nâest plus lĂ ? En fait il reste les secteurs sur lesquels la visibilitĂ© Ă moyen long terme est faible voir risquĂ©e, essentiellement les nouvelles technologies. Câest sĂ»rement par lĂ que ça va craquer », conclut lâĂ©conomiste.
Source : https://www.assurancevie.com/actualites/marches/conjoncture-experts-se-penchent-sur-les-defis-de-la-croissance-mondiale.html?utm_source=newsletterdebdec2017