SCPI : faut-il fuir la pierre papier ?
Mauvaise surprise pour les épargnants ! Depuis 18 mois, près d’un tiers des SCPI, véhicules mutualisés de pierre papier, ont subi une baisse du prix de leurs parts. Comment l’expliquer et réagir ? Décryptage avec l’économiste Nicolas Tarnaud, expert international en finance et immobilier, et directeur de programmes à Financia Business School.
Nicolas Tarnaud est expert international en finance et immobilier, et directeur de programmes à Financia Business School.
Depuis l’an dernier, de nombreuses SCPI ont connu une baisse, parfois brutale, de la valorisation de leurs actifs, et donc de leurs parts. Nicolas Tarnaud, en tant qu’économiste, comment l’expliquer ?
Nicolas Tarnaud : « Les actifs de chaque SCPI doivent désormais être valorisés tous les six mois par deux experts indépendants, comme l’exige la réglementation. Comment procèdent-ils ? Un immeuble a une valeur parce qu’il y a un marché et des locataires. Moins de loyers, c’est moins de liquidités : l’expert va prendre cela en compte. L’autre facteur, c’est la confrontation entre l’offre et la demande. Les premières dévaluations ont envoyé aux épargnants un signal de se mettre vendeurs. Un effet domino s’est opéré : s’il n’y a plus d’acheteur, la SCPI va devoir agir sur le prix de la part. »
Pourquoi la valeur de certains biens s’effondre ?
N. T. : « À cause des difficultés du marché, notamment pour les bureaux. Au cœur des villes, par exemple à Paris intra-Muros, le taux de vacance est très faible. Mais plus on s’en éloigne, plus cela devient compliqué. Le phénomène a été très rapide : des entreprises choisissent de mieux se localiser, de réduire le nombre de m2 loués. Il peut donc y avoir moins de locataires, ou plus du tout. Les loyers baissent également : à la Défense, ils ont chuté de 30 ou 40% en 2-3 ans. Beaucoup de SCPI étaient investies dans ce type d’actifs : elles ont été les premières touchées. »
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Est-ce que cela va durer dans le temps ?
N. T. : « Une critique est faite aux villes d’affaires. On n’a peut-être pas construit de manière intelligente. Cela manque de mixité, avec du logement par exemple. La Défense ne va pas disparaître. Simplement, il faut sans doute la repenser. Je peux avoir la même réflexion au sujet de New York ou San Francisco. Il y a un vrai problème : l’offre de bureaux est trop importante par rapport aux besoins. Cela va sans doute être compliqué pour les zones tertiaires à moyen terme. »
D’autres secteurs connaissent-ils des difficultés ?
N. T. : « Le commerce, notamment dans les centres-villes, souffre. Prenez les artères parisiennes, les boulevards haussmanniens. On voit régulièrement des boutiques à louer. Il y a quelques années encore, il n’y avait pas autant d’offre. Cela impacte les véhicules investis sur ces actifs. Or pendant 30 ans, les murs de boutiques étaient très recherchés, et appréciés par les épargnants. »
On évoque un autre facteur : la hausse des taux d’intérêt. Qu’en est-il ?
N. T. : « Cela a effectivement un impact. Il ne faut pas oublier qu’en règle générale, les grands investisseurs empruntent à taux variable. La dette des gestionnaires va donc évoluer dans le temps. En cas de hausse des taux d’intérêt, le coût de financement devient plus important, les mensualités sont fortement impactées. »
« Jusqu’à présent, on entendait que les SCPI étaient un placement de bon père de famille »
Cela laisse donc moins de liquidités à la SCPI, contribuant à une valorisation plus faible. Pour les investisseurs, c’est une situation inattendue…
N. T. : « Jusqu’à présent, on entendait que les SCPI étaient un placement de bon père de famille. C’est comme l’immobilier en physique : on partait du postulat que grosso modo, les valorisations des prix d’actifs et des parts ne pouvaient pas baisser. Or si l’on regarde dans le passé, l’immobilier peut se corriger. Ce sera bien sûr moins violent et immédiat qu’en bourse, mais cela durera plus longtemps… »
Un véhicule peut-il se relever d’une chute de 30 ou 40% ? Est-ce un bon point d’entrée ou un mauvais signal ?
N. T. : « Les choses n’arrivent pas par hasard. Une SCPI qui se corrige, c’est que les actifs sont de mauvaise qualité. Ils se retrouvent sur un marché où il n’y a plus de demande. Les deux éléments importants, c’est le patrimoine et sa localisation. Parfois, on peut avoir des biens avec de grands utilisateurs partis pour différentes raisons. Forcément, cela tombe au mauvais moment. Mais ces immeubles, s’ils sont bien localisés, retrouveront preneur. À l’inverse, s’ils sont mal placés, mal desservis… ils n’auront pas forcément de seconde vie, et la décote va durer. J’incite les épargnants à demander aux sociétés de gestion le portefeuille des SCPI, les taux d’occupation, les vacances, les revenus locatifs. C’est une obligation légale. »
« Beaucoup de gens ont acheté récemment, au plus haut, parfois même à crédit. Il vaut mieux ne pas prendre de décision immédiate. »
Si l’on a subi une baisse conséquente, que faire : continuer à encaisser ses loyers ou vendre ses parts ?
N. T. : « Ce sera au cas par cas. Si le patrimoine est bon, on peut attendre que les assets managers fassent leur job, pour retrouver en un an ou deux des revenus locatifs dignes des actifs. Si le potentiel n’est pas énorme, cela dépend à quel prix on a acheté les parts. En bénéfice ou légère perte, on peut envisager d’en sortir. Mais beaucoup de gens ont acheté récemment, au plus haut, parfois même à crédit. Il vaut mieux ne pas prendre de décision immédiate. C’est pour cela que je dis que c’est vraiment un placement à long terme. »
La mode est-elle terminée ? Faut-il fuir la pierre papier ?
N. T. : « Non ! Cela peut être un placement intéressant pour des épargnants qui ne souhaitent pas avoir de l’immobilier en direct. Qui veulent diversifier un patrimoine, avec une mutualisation du risque. Mais il faut être plus sélectif que jamais. Choisir encore une fois une SCPI avec des actifs de qualité, qui ont une demande importante. C’est pour cela que beaucoup d’acteurs créent de nouveaux produits, avec une nouvelle approche. Les grandes maisons ont compris qu’elles n’avaient pas le choix. Il fallait réagir afin de redynamiser la collecte auprès des épargnants. Elles se devaient d’innover, pour être toujours présentes sur un marché compétitif. »
On voit une tendance se dessiner : les nouvelles SCPI ont une approche diversifiée en termes d’activités et de zones géographiques.
N. T. : « Exactement. Dans tous les cas, les gestionnaires vont privilégier le long terme, mesurer la qualité des emplacements, et les besoins des futurs locataires. Certains secteurs se dégagent, comme le logement dans les zones tendues des métropoles françaises et européennes. Cette classe d’actifs n’offrira certes jamais des rendements exceptionnels. Par contre, le taux d’occupation sera toujours de 99% ! Il y a également les murs d’hôtels, avec l’engouement du tourisme dans les métropoles. Ou la logistique urbaine, très demandée avec la croissance du e-commerce. »
« Je recommande que les SCPI ne représentent pas plus de 5% d’un patrimoine. »
10 nouvelles SCPI se seront lancées en 2024. Cela semble beaucoup…
N. T. : « C’est un chiffre important, mais il correspond à l’envie de différents acteurs de retrouver auprès des épargnants une confiance mise entre parenthèses depuis un an et demi. Et de profiter d’opportunités. Avec un marché un peu moins dynamique, on peut peut-être acheter du foncier moins cher, réaliser des opérations qui n’étaient pas dans les clous il y a 3 ou 4 ans. »
Les nouveaux véhicules annoncent des rendements de 7, 8 voire 10%. Est-ce une nouvelle ère ?
N. T. : « Il faut prendre tout cela avec beaucoup de précautions. Ces chiffres ne sont pas garantis. Ce qui m’intéresse, c’est le spread. L’écart entre un taux sans risque, comme les obligations d’État à 10 ans, et le rendement. C’est cela qu’il faut regarder. Anticiper 7%, avec une inflation qui se maintiendrait à 2%, cela me paraît trop optimiste. 5%, c’est un écart de 300 points de base par rapport à une inflation à 2%. C’est bien, déjà ! »
Quelle place accorder aux SCPI dans son patrimoine ?
N. T. : « Je recommande qu’elles ne représentent pas plus de 5% de ses investissements. Car ce n’est pas un marché liquide. Si on investit trop sur des actifs dont on ne peut se défaire facilement, le problème, quand une crise survient, c’est qu’ils se déprécient, et qu’on ne peut même plus les vendre. Regardez l’immobilier physique : ceux qui ont acheté au plus haut devront faire une moins-value pour s’en séparer rapidement. Il vaut mieux être sur des marchés liquides : une action, cela se vend en 30 secondes. »