LâĂ©nergie propre attise les convoitises
Les grands groupes français investissent dans le secteur, suivis par de nombreuses PME dans lâHexagone.
CYRILLE PLUYETTE
ĂNERGIE Verdir leur production : les grands Ă©nergĂ©ticiens français nâont pratiquement que ce mot Ă la bouche. Mais au-delĂ des slogans, Ă quelle vitesse progressent les Ă©nergies 100 % propres dans lâHexagone ? Et quel rĂŽle jouent les multinationales tricolores dans cette transition, alors que notre pays sâest fixĂ© des objectifs ambitieux ? La loi Ă©nergie climat vise Ă porter la part de la production dâĂ©lectricitĂ© Ă partir dâĂ©nergies renouvelables Ă 40 % en 2030.
Signe quâil se passe quelque chose, les Ă©nergies renouvelables couvraient 21 % de la consommation Ă©lectrique française Ă fin septembre 2019, selon le syndicat de la filiĂšre (SER). Mais le rythme de crĂ©ation de nouvelles capacitĂ©s nâest cependant pas suffisant au regard des cibles fixĂ©es. Le retard est particuliĂšrement criant pour le solaire. « Seuls 900 mĂ©gawatts ont Ă©tĂ© installĂ©s en 2018, alors quâil en faudrait presque quatre fois plus pour atteindre lâobjectif de 40 gigawatts en 2028 », insiste Jean-Louis Bal, le prĂ©sident du SER. Concernant les Ă©oliennes terÂrestres, « le marchĂ© est dynamique, avec 1,6 GW ajoutĂ© en 2018, mais on est un peu en dessous des 2 GW annuels nĂ©cessaires », ajoute ce responsable. Parmi les freins Ă son dĂ©veloppement, lâĂ©olien terrestre fait face Ă des problĂšmes dâacceptabilitĂ© : plus de deux tiers des Âprojets font lâobjet de recours.
Bataille en mer
Une autre grande bataille, moins visible, a Ă©galement commencĂ© : celle des Ă©oliennes en mer. Pour lâheure, aucune nâest encore sortie de lâeau en France, quand il en existe plus 4 500 dans le reste de lâEurope. Et ce, alors que 7 parcs ont Ă©tĂ© attribuĂ©s depuis le premier appel dâoffres de 2011, princiÂpalement Ă EDF et Engie (ex-GDF Suez). AprĂšs des annĂ©es de lenteurs administratives et de recours juridiques, la voie semble toutefois se dĂ©gager. Les preÂmiĂšres Ă©oliennes en mer, exploitĂ©es par EDF, devraient voir le jour en 2022 au large de Saint-Nazaire. Et Emmanuel Macron qui estime que la France « possĂšde un des potentiels les plus importants au monde » dans ce domaine a ÂrĂ©cemment indiquĂ© quâ1 GW de capacitĂ© supplĂ©mentaire serait ÂattribuĂ© chaque annĂ©e dâici Ă 2024.
Pour sâoctroyer une part du marchĂ© en croissance, les renouveÂlables, les mastodontes français du secteur se livrent une compĂ©tition acharnĂ©e, surtout dans lâĂ©olien et le solaire. Il en va de leur image, mais pas seulement. Leurs « investissements constituent de vĂ©ritables relais de croissance, dans un contexte oĂč la baisse des coĂ»ts des installations permet de rendre lâĂ©quation Ă©conomique trĂšs compĂ©titive », explique ClĂ©ment Le Roy, spĂ©cialiste de lâĂ©nergie au cabinet de conseil Wavestone. Engie, qui a adoptĂ© une stratĂ©gie consistant à « tendre vers le zĂ©ro carbone », a prĂ©vu dâinvestir 2,5 milliards dâeuros pour dĂ©veÂlopper 9 GW de capacitĂ©s renouvelables en trois ans dans le monde et porter le total Ă 33,4 GW en 2021. Le gaz naturel reprĂ©sentait encore plus de la moitiĂ© des capacitĂ©s Ă fin 2017, et le charbon 7 %. De son cĂŽtĂ©, EDF compte presque doubler ses capacitĂ©s installĂ©es dans les renouvelables entre 2015 et 2030, pour les porter de 28 GW Ă 50 GW. LâopĂ©rateur reste nĂ©anmoins avant tout une entreprise nuclĂ©aire, lâatome reprĂ©sentant plus des trois quarts de sa production dâĂ©lectricitĂ©.
Quant Ă Total, il Ă©value ses investissements « bas carbone » Ă environ 1,5 Ă 2 milliards dâeuros par an - soit autour de 10 % du total - mais intĂšgre dans son calcul le gaz naturel, une Ă©nergie fossile. Pour lâheure, lâentreprise nâaffiche quâune timide prĂ©sence dans le renouvelable, avec 3 GW de puissance installĂ©e dans le monde, via ses filiales Total Quadran, Total Solar et Eren. Il ambitionne Âdâatteindre 25 GW en 2025.
Engie et EDF ont beau faire course en tĂȘte dans lâĂ©olien et le solaire en France, « le marchĂ© du renouvelable nâest pas rĂ©servĂ© quâaux grands groupes nationaux. Plusieurs structures françaises plus petites tirent leur Ă©pingle du jeu », comme Neoen, Urbasolar, Valorem ou Akuo Energy, prĂ©cise ClĂ©ment Le Roy, de Wavestone. Sans compter le britannique RES, le portugais EDPR ou le canadien Boralex. « Sâils jouent un rĂŽle important sur le pĂ©rimĂštre national, sur lâĂ©chiquier europĂ©en voire mondial, nos champions français se retrouvent plutĂŽt dans le peloton, alors que plusieurs groupes Ă©nergĂ©tiques ont misĂ© tĂŽt et de maniĂšre importante sur les Ă©nergies renouvelables, comme lâitalien Enel, lâespagnol Iberdrola ou le portugais EDP », poursuit cet expert. Il reste donc aux entreprises françaises Ă ne pas relĂącher leur effort pour ne pas se laisser dĂ©finitivement distancer.
Le Figaro - mardi 10 décembre 2019