Quelles perspectives de rendement pour les fonds en euros ?
information fournie parLE CERCLE DES ANALYSTES INDÉPENDANTS•01/12/2023 à 09:55
François d’Hautefeuille
« La performance des fonds en euros en 2022 a été meilleure qu’attendue. Certes, le portefeuille sous-jacent des assureurs a été impacté par la hausse des taux longs et la baisse de la bourse et de l’immobilier. Mais les rendements payés aux investisseurs sont restés en ligne avec les fonds monétaires. »
L’année 2023 sera sans doute une année charnière pour les fonds en euros. Pour la première fois, le rendement des fonds en euro pourrait être inférieur à celui des fonds monétaires et autres placements sans risque. Comment anticiper le rendement des fonds en Euro, tel est le but de cette étude.
Comment analyser la performance des fonds en euros ?
La performance des fonds en euros en 2022 a été meilleure qu’attendue. Certes, le portefeuille sous-jacent des assureurs a été impacté par la hausse des taux longs et la baisse de la bourse et de l’immobilier. Mais les rendements payés aux investisseurs sont restés en ligne avec les fonds monétaires.
La raison de ce paradoxe tient à la « magie » des provisions d’assurance vie. Les assureurs ont pioché dans leurs réserves accumulées durant la baisse des taux. Ceci est rendu possible par le code des assurances. Il permet aux assureurs de ne pas payer toute la performance du portefeuille sous-jacent en les comptabilisant en tant que provisions. C’est la base du mécanisme des fonds en euro. Il linéarise des performances par nature non linéaires d’un portefeuille complexe.
Ce recours aux provisions est limité par nature aux plus-values passées accumulées sur les portefeuilles grâce à la baisse des taux et le hausse des actions et de l’immobilier. L’assureur se met ensuite en risque sur ses fonds propres s’il ne conserve pas un matelas de sécurité suffisant pour encaisser la perte potentielle de son portefeuille d’investissement sous-jacent. Or les fonds propres des assureurs sont limités par rapport à la taille gigantesque des fonds en euro (autour de 1.300 milliards d’euros soit plus de 30% du PNB Français).
Y-a-t il un risque de sortie massive ?
L’encours total de l’assurance vie selon la FFA est en petite hausse sur un an, à 1.883 milliards d’euros, soit un bon tiers de l’épargne des Français. Elle stagne donc depuis 2021 où elle atteignait déjà 1.876 milliards. Les chiffres de France Assureurs pour le mois de septembre 2023 montrent une décollecte nette de l’assurance vie (-300 M€), alors que la collecte nette était positive (100 M€) à cette même période en 2022.
On note donc une poursuite de la baisse de la collecte déjà entamée en 2023 avec une collecte de 67.5Mds EUR pour les contrats individuels en Euros contre plus de 80 Mds EUR en 2018 et 2019. Cette baisse est certes compensée par la hausse sur les contrats en UC qui était de 49.5Mds en 2023 contre moins de 40 Mds en 2018, 2019 et 2020.
Quel rendement pour 2023 ?
Il faut tout d’abord rappeler le rendement moyen servi sur les fonds euros au titre de l’exercice 2022. Il s’établissait à 1,92%.
Il faut noter que notre étude ne tient pas compte des provisions pour participation aux bénéfices (PPB). Cette provision est calculée par l’assureur en fonction de la performance du portefeuille sous-jacent qui n’a pas été distribuée.
Comment anticiper la performance 2023 des fonds en euros ?
C’est un exercice particulièrement complexe que d’anticiper la performance des fonds en euros pour 2023. Elle sera la résultante de la capacité des assureurs à traverser la hausse des taux monétaires, la remontée historique des taux longs, la stagnation d’une grande partie de la bourse hors quelques rares valeurs phares comme le luxe ou, ASML Holding et Novo Nordisk.
Au bout du compte, c’est la banque de France via l’ACPR qui sera la juge des rendements à payer. Elle a ainsi redressé dans le passé certains assureurs en leur demandant de recapitaliser leurs fonds propres et de réduire le rendement de leurs fonds en Euros.
Vers des rendements des fonds en euros inférieurs aux rendements monétaires ?
La question sera de voir si les assureurs vont réussir à continuer à battre le rendement des taux sans risque (monétaire et dépôt à terme) alors que les marchés n’ont pas créé beaucoup de performance et que leurs réserves ont été impactées par le recours à cette source de performance pour éviter une baisse trop forte des rendements en 2022.
Quelle performance du portefeuille sous-jacent des assureurs ?
Il n’est pas possible de répliquer exactement la performance du portefeuille sous-jacent des assureurs. Par nature, chaque assureur construit différemment son portefeuille. Cependant, dans la pratique, on a une assez grande convergence des portefeuilles. Ceci est dû aux règles de congruence imposées par la Banque de France pour limiter le risque systémique des portefeuilles. Ainsi, la part en obligations, actions et immobiliers est relativement stables entre les différents assureurs, même si le choix des actifs sous-jacents diffère.
On peut ainsi essayer de reconstituer via des ETFs la performance globale d’un portefeuille d’assureur. Il est composé d’un socle en obligations de la zone euro, d’obligations crédit en diversification, d’actions de la zone euro avec un risque limité, d’immobilier souvent non-côté et d’une poche diversifiée. Chacune de ses poches peut être répliquée en approximation relative par la performance d’ETFs côtés en bourse. Ces ETFs sont des fonds passifs gérés par des gérants comme Blackrock et Vanguard.
La performance 2013 du portefeuille proxy des fonds en euros est de 4.16%. Les plus grands contributeurs sont les obligations zone euro (3.28% de performance), le secteur immobilier (4.54% de performance), les actions Europe industrielles (16.1%).
On a un fort rebond du portefeuille depuis début octobre grâce au fort rebond des obligations zone Euro et de l’immobilier. Cette performance est fondamentale. Elle pourrait permettre aux assureurs de payer une performance 2023 sur les fonds en euros pas trop éloignée des fonds monétaires. Cela devrait permettre de freiner les sorties et donc d’éloigner le risque systémique.
Quelle stratégie adoptée face à cette nouvelle situation ?
Le Crédit Agricole a récemment émis une obligation 8 ans avec un rendement de 4.6%. Cela est très attractif par rapport au rendement des obligations d’Etat à 8 ans. Cette obligation ne peut être fait que via un contrat d’assurance vie. Or, les frais sur contrats sont entre 0.6% et 1%. De ce fait, le rendement net reçu par l’investisseur final tombe entre 4% et 3.6%. Il faut rajouter ensuite la CSG et autres taxes sur l’assurance vie, soit autour de 17.2% actuellement. Le rendement net tombe donc entre 3.2% et 2.7%. Ceci n’est que 1% au-dessus de l’inflation structurelle attendue de la BCE qui est autour de 2%.
Une autre solution peut être de procéder à des retraits sur l’assurance vie et des investissements en compte titres. Cela peut être sur des fonds monétaires. Les frais des fonds monétaires sont autour de 0.3% car ils payaient des performances négatives quand les taux monétaires étaient négatifs. Désormais, ces taux ont fortement remonté et sont autour de 4%. Nous n’anticipons pas une baisse violente et brutale de ces taux.
Quel est le risque systémique pour les fonds en euro ?
Les fonds en euro pourraient être confrontés à un effet de ciseau entre la performance des fonds anciens et les rendements alternatifs d’un placement obligataire à court / moyen terme. C’est une situation jamais vue par les assureurs depuis 20 ans.
La loi Sapin 2 permet à la Banque de France de bloquer les sorties sur les fonds en euros dans le cas où les pertes des fonds en euros mettraient en péril les fonds propres des assureurs et donc l’ensemble du système financier français. Cette loi n’a jamais été appliquée à ce jour. Un scénario de crise financière possible qui pourrait justifier la mise en place d’une telle protection serait lié au risque systémique engendré par le conflit de Gaza via une crise pétrolière. Même si les pays producteurs voisins n’ont pas cautionné ce qui s’est passé le 7 octobre, la poursuite de la réplique pourrait les amener, sous la pression de la rue, à brandir la menace de ressusciter le choc pétrolier de 1973.
Conclusion
Nous sommes sans doute à un point critique quant à l’attractivité des fonds en euro. Ce produit d’épargne longtemps le préféré des Français a considérablement enrichi beaucoup d’investisseurs en profitant de la baisse structurelle des taux et de l’inflation liée à la création de l’euro.
Nous recommandons donc aux investisseurs de limiter leur risque sur les fonds en euro en arbitrant avant la fin de l’année vers des fonds monétaires voire des obligations à taux fixe proposés par les assureurs.
Cette analyse financière n’est pas un conseil en investissement. Evariste Quant Research et ses clients peuvent détenir des titres mentionnés dans cette analyse.
Le présent article est rédigé par Le Cercle des Analystes indépendants pour Boursorama. Cet article ne doit en aucun cas s’apparenter à un conseil en investissement ou une recommandation d’acheter, de vendre ou de continuer à détenir un investissement. Boursorama ne saurait être tenue responsable d’une décision d’investissement ou de désinvestissement sur la base de cet article