« Le risque d’une bulle immobilière est indéniable »
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Clément Schaff et Mahdi Ben Jelloul sont économistes au Centre d’analyse stratégique (CAS), organisme rattaché à Matignon et chargé d’éclairer le gouvernement dans « la définition et la mise en oeuvre de ses orientations stratégiques en matière économique [et] sociale », notamment. Ils ont récemment participé à la rédaction d’une note d’analyse sur « L’évolution des prix du logement en France sur 25 ans », dans laquelle ils jugent possible l’existence d’une bulle immobilière en France.
(LaVieImmo.com) - Quelques jours après la publication de votre note, Jean-Philippe Cotis, directeur général de l’Insee contestait l’existence d’une bulle immobilière française…
Clément Schaff : Nous avons analysé l’évolution des prix des logements au cours des vingt-cinq dernières années et sommes arrivés à la conclusion que les facteurs de long terme, comme les évolutions démographiques ou les phénomènes de concentration territoriale, ne permettaient pas d’expliquer à eux seuls l’envolée qu’on observe en France depuis la fin des années 1990. En revanche, il semble acquis qu’en anticipant une poursuite de la hausse des prix, les ménages ont progressivement et artificiellement alimenté cette progression notamment les ménages déjà propriétaires qui sont en quelque sorte immunisés contre la hausse des prix – ce qui tendrait à accréditer le scénario d’une bulle. Lors de la présentation de la dernière étude de l’Insee sur les prix des logements*, Jean-Philippe Cotis a rappelé que la France, contrairement aux Etats-Unis ou l’Espagne de la fin des années 2000, ne souffre pas d’un excès d’investissement dans l’immobilier. C’est un fait, et à aucun moment notre étude n’affirme le contraire. Attention cependant, une bulle peut très bien se former sans spéculation ni investisseurs…
Parmi les facteurs de hausse des prix dont vous minimisez l’impact, le manque de logements disponible est l’un des plus fréquemment avancé pour expliquer la forte progression des dernières années…
Mahdi Ben Jelloul : Le fait que les loyers aient progressé beaucoup moins rapidement que les prix des logements anciens sur la période couverte par notre étude infirme l’hypothèse, pourtant intuitive, d’une pénurie généralisée de logements. Ce qui a un impact sur le niveau des prix, en revanche, c’est la rareté du foncier, que ce soit dans les zones les plus demandées où là où les règles d’urbanisme sont les plus contraignantes.
Est-ce à dire que les prix ne peuvent pas baisser dans les grandes villes, où le foncier est le plus rare ?
Clément Schaff : Non. Comme nous l’avons montré, les facteurs de long terme, dont la rareté du foncier fait partie, ont un impact sur le niveau des prix, mais ils n’expliquent que partiellement l’évolution constatée au cours des dix dernières années. L’exemple de Paris dans les années 1990 montre qu’une baisse est possible même dans des zones où la demande est forte et le foncier rare, dès lors que le niveau des prix s’éloigne trop fortement des « fondamentaux ». Aucun marché n’est réellement fermé…
Mahdi Ben Jelloul : Nous ne sommes pas en train de dire qu’une bulle s’est formée, ni qu’elle va nécessairement éclater. Il est d’ailleurs peu probable, si le scénario d’une bulle immobilière française venait à se vérifier, que les prix chuteraient de manière rapide. Même dans les années 1990, le mouvement de correction s’est étalé sur plusieurs années (baisse de 40% en termes réels entre 1991 et 1998). Cela dit, même s’il est indéniable que le risque existe, il est par essence impossible de prouver l’existence d’une bulle tant qu’elle n’a pas commencé à se dégonfler… [/i]
Le CAS persiste et signe.