En vantant les mérites d’une sortie de l’euro, d’une taxation des importations ou d’une relocalisation de l’industrie à marche forcée, les discours populistes – de droite comme de gauche – ignorent certains mécanismes fondamentaux de l’économie.
Avant de rédiger un programme de politique économique de tendance populiste pour les pays de la zone euro, il faut avoir à l’esprit les mécanismes ou faits suivants : les pays de la zone euro ne peuvent pas sortir de l’euro et dévaluer en raison de leurs dettes extérieures brutes en euros ; la globalisation moderne implique que la production domestique et les importations ne sont plus substituables ; dans beaucoup de pays de la zone euro, l’appareil productif ne sait pas répondre à une hausse de la demande ; il est ridicule de dire que l’Europe est synonyme d’austérité.
Nous allons maintenant revenir sur ces mécanismes et expliquer leur importance pour les politiques économiques des pays de la zone euro.
Commençons par l’impossibilité de sortir de l’euro. Les pays de la zone euro ont des dettes extérieures brutes, essentiellement en euros, de très grande taille (de deux à plus de trois années de leur produit intérieur brut), accumulées largement depuis la création de l’euro.
Un pays qui sortirait de l’euro et dévaluerait serait confronté à une hausse insupportable de la valeur, dans sa monnaie nationale, de sa dette extérieure, conduisant à un risque de défaut de l’Etat, des grandes entreprises, des banques. L’Etat français, par exemple, a vendu 60 % de sa dette à des non-résidents, et c’est une dette en euros insupportable en francs si le franc est dévalué.
Venons-en maintenant à la nature de la globalisation. Depuis vingt ans, la globalisation a pris la forme de la « segmentation des chaînes de valeur » : la production des biens est éclatée entre plusieurs pays. Les importations sont de plus en plus des pièces, des composants fabriqués à l’étranger, ce qui implique qu’il n’y a plus de substitualité entre production domestique et importations : on ne peut pas remplacer les importations par des biens ou services fabriqués dans le pays. On voit d’ailleurs que la sensibilité des importations en volume est aujourd’hui très faible ou nulle, ce qui révèle cette absence de substitualité. L’appréciation de l’euro de 2002 à 2008, puis la dépréciation de l’euro de 2008 à 2016 n’ont eu aucun effet sur la part
des importations dans la demande intérieure.
Cela implique que s’il y a dévaluation ou taxation des importations, il n’y a pas de baisse du volume des importations mais seulement hausse de leur prix, ce qui réduit le revenu réel (des ménages et des entreprises) et la croissance.
Peut-on espérer qu’à long terme la taxation des importations conduise à des relocalisations ? Il est très improbable que de grandes entreprises décident de ramener des sites de production seulement pour servir le marché intérieur d’un pays de la zone euro, alors que leurs productions délocalisées servent des marchés continentaux ou mondiaux.
Autre constatation : dans beaucoup de pays, l’appareil productif ne répond pas à la demande. La baisse du prix du pétrole depuis 2014 a conduit à une forte progression du revenu réel et de la consommation des ménages grâce à la baisse de l’inflation.
On peut alors regarder dans quelle mesure la hausse de la demande intérieure a conduit à une hausse de la production domestique (ou des importations). On voit, en examinant les évolutions, que l’élasticité des importations à la demande intérieure est très forte, ce qui montre que l’appareil productif domestique n’est pas capable de réagir à la demande, en Allemagne, en France et en Italie (l’Espagne est dans une
situation plus favorable). En France, une hausse de l’euro de la demande intérieure ¬conduit à une hausse de 80 centimes d’euro des importations ! Dans ces pays, il est donc inutile de stimuler la demande intérieure (hausse des salaires, déficits publics) avant d’avoir réparé l’appareil productif.
Enfin, l’Europe n’est absolument pas synonyme d’austérité. On associe souvent Europe à austérité, ce qui nourrit le rejet de l’Europe. Mais cette association est ridicule. La politique monétaire de la BCE est ultraexpansionniste, avec des taux d’intérêt à long terme très bas par rapport à la croissance (aujourd’hui 1 % pour l’ensemble de la zone euro contre 3 %).
La Commission européenne accepte aujourd’hui en France, en Espagne, en Italie, des déficits publics élevés qui n’assurent pas la solvabilité budgétaire de ces pays. Il faudrait, en France, ramener en 2016 le déficit public à 2 % du PIB pour stabiliser le taux d’endettement public.
Ce qui précède montre que la politique économique la pire dans un pays de la zone euro consisterait d’abord en une sortie de l’euro, pour échapper à la prétendue austérité, et en une dévaluation. Il en résulterait la ruine de tous les agents économiques ayant des dettes extérieures et une forte hausse des taux d’intérêt. Ensuite, en la mise en place de droits de douane, qui aboutiraient à la seule hausse desprix des importations, à la baisse des profits et du revenu réel des ménages. Et enfin, en des mesures de soutien de la demande, qui feraient progresser les importations et très peu la production domestique (en Allemagne, en France, en Italie).
Patrick Artus est chef économiste, membre du comité exécutif de Natixis.
On peut argumenter contre une sortie de l’euro (que je ne souhaite pas car les avantages me semblent vraiment plus faibles que les inconvénients) sans citer les pires psychopathes du 20ieme siècle…
Et si les économies « moyennes » similaires de la zone euro y restaient et qu’au contraire les économies anormales (par leurs paramètres: forte exportation, …) en sortaient, genre l’Allemagne ?
En fait, à chacun des ces problèmes liés à la sortie de l’euro une solution (ou une contrepartie positive), mais P. Artus se gardera bien d’en parler. Le postulat de départ de l’article est de prétendre que la sortie de l’euro serait catastrophique (comme serait catastrophique une victoire du Oui au référendum Brexit, ou une victoire de D. Trump… ), donc il faut trouver les arguments qui vont dans ce sens.
Sur la dette libellée en monnaie euro, notamment dette d’Etat, comme l’Etat est souverain il suffirait d’imposer aux créanciers que la dette soit remboursées en monnaie nationale. C’est ça ou rien, et les créanciers n’auront rien à dire !
Voir aussi les interventions sur Youtube d’un ancien économiste de la BCE, Vincent Brousseau, qui explique qu’une sortie de l’euro est possible.
Eh oui, point Godwin atteint dès le deuxième post. J’oubliais qu’être anti-mondialiste et préférer la souveraineté nationale (par rapport à cette UE là) c’est être hitlérien.
Patrick Artus, c’est le même qui nous expliquait en 2011-2012 que l’euro était structurellement non viable. Spécialiste météo ce monsieur, expert en sens du vent. Il faudra attendre la prochaine crise pour qu’il sorte un papier de circonstance.
Oui, je pense qu’il faut se protéger « intelligemment » comme le font certains pays, ni plus ni moins …Et, l’Europe semble être une grande technocratie bien loin de la préoccupation des citoyens et surtout ne protège pas notre pays. C’est un vaste cirque où chacun « tire la couverture à soi ». Doit-on continuer dans la voix du déclin ? Ou tenter autre chose …vaste débat !