Avec des rendements canons, les SCPI sans frais d’entrée vont-elles révolutionner le marché ?
Par Gwenaël CADORET
Les SCPI sans frais d’entrée bousculent le marché
Ces dernières années, 4 acteurs ont développé de nouvelles SCPI sans frais d’entrée. Une approche à rebours de ces véhicules, qui imposent en général 10 à 12% de commission de souscription. Alors que leur collecte est massive et qu’une grande banque y réfléchit, ce modèle peut-il remettre en cause les habitudes de marché ?
C’est un murmure qui agite la place. Un « très gros acteur » consulterait des gestionnaires d’actifs pour se lancer dans les SCPI, véhicules d’immobilier mutualisé offrant des loyers aux détenteurs. Ce « poids lourd de l’épargne » s’intéresserait notamment à une approche « sans frais », alors que les commissions de souscription sont la norme (de 10 à 12%).
Moneyvox a longuement enquêté pour identifier ce fameux « acteur ». En exclusivité, nous sommes en mesure de révéler qu’il s’agit de BoursoBank (ex Boursorama). Nous pouvons également indiquer que les assets managers Swiss Life AM et Sofidy participent aux discussions, portant notamment la « question des frais ».
Sollicitée, la banque en ligne aux 5 millions de clients concède que « l’immobilier est un sujet regardé avec attention ». Mais reste prudente : elle étudie encore « toutes les possibilités » dans un contexte de marché difficile pour l’immobilier - mais avantageux pour les nouveaux venus.
Malgré tout, la « banque que l’on a envie de recommander » ne dément pas envisager de proposer « la possibilité d’accéder à cette classe d’actifs, en restant en adéquation avec notre ADN ». On peut deviner ce que cela veut dire, quand on se revendique comme « la moins chère » depuis 15 ans…
Un nouveau modèle
Si la rumeur s’est propagée, c’est que le monde feutré de la pierre-papier vit une « petite révolution ». Depuis 2019, quatre SCPI sans frais d’entrée sont apparues. Précurseur avec son fonds Neo, Novaxia a été rejoint par Iroko en 2020 (Iroko Zen), Remake en 2022 (Remake Live), et Axipit cette année (Upeka).
Leur modèle n’a rien d’anecdotique. Alors que beaucoup de SCPI vivent une forte correction dans le sillage de l’immobilier, les nouvelles venues auront collecté en 2023 plus de 400 millions d’euros. Un signe que cette innovation financière séduit.
Ce quatuor est parti du même constat : « Depuis leur apparition dans les années 60, les SCPI ont beaucoup évolué (démembrement, arrivée en assurance vie…), analyse Pierre-Antoine Burgala, directeur général adjoint d’Iroko. Mais un point n’a pas changé : les conditions de souscription. »
Or des commissions importantes, cela semble en décalage avec l’évolution du marché de l’épargne, notamment pour les assurances vie. « Je suis depuis 20 ans dans le milieu de l’immobilier, mais je n’ai jamais acheté de parts de SCPI, glisse David Seksig, cofondateur de Remake. J’ai toujours refusé de payer autant de frais. Même si le produit vit bien avec sur le long terme, cela correspond de moins en moins aux nouvelles générations. »
Plus mobiles et informés, ces clients ont souvent un horizon d’investissement plus court, et n’hésitent pas à jongler entre les classes d’actifs. Ils sont donc sensibles aux frais et leur amortissement. « En comparant l’immobilier à d’autres produits sans frais, ils auront du mal à comprendre ! » Car 10 à 12%, cela impacte durablement le retour sur investissement. Il faut ainsi attendre deux à trois ans pour retrouver simplement son capital initial !
Un coup de chance
Les SCPI « new-look » défendent un produit plus « ouvert ». « S’il ne plaît plus à un consommateur, il doit pouvoir en sortir, suggère Pierre-Antoine Burgala. Il semble logique que le prix d’achat corresponde au prix de retrait. Intellectuellement, ce raisonnement est imbattable. » Avec une limite : pour limiter les sorties trop rapides, complexes à gérer pour de jeunes fonds, elles ont fixé des pénalités de l’ordre de 5% les premières années.
David Seksig détaille la stratégie : « peu ou pas de frais d’entrée, mais des frais de gestion plus importants ». « C’est une vraie conviction, lance-t-il. Quelque part, on s’aligne sur le modèle des OPCVM. »
Le calcul est simple : au lieu d’impacter l’investisseur à l’entrée, ces SCPI préfèrent se rémunérer plus fortement que la concurrence sur les acquisitions et ventes de biens (de 3 à 4%) et les loyers (de 12 à 15%). La différence, c’est que ces frais sont « invisibles », car les taux de distributions sont annoncés « nets de commissions ». Ce qui n’empêche pas pour le moment les performances : Novaxia Neo dépasse les 6%, quand Iroko Zen et Remake Live, devenus leaders de ce marché, offrent plus de 7%.
Pour autant, Pierre-Antoine Burgala se veut honnête : ces rendements n’ont rien de « magique ». « Ce n’est pas du talent, c’est de la chance ! On s’est lancés dans un market timing idéal. Notre collecte permet d’acheter au bon moment. Dans l’immobilier, ce sont les soldes » ! À l’étranger, la baisse frôle les 30% ou plus. « On bénéficie à plein de notre croissance, explique David Seksig. Nos acquisitions ne cessent d’être diluées à la hausse par les immeubles qui rentrent en portefeuille. » De quoi « emmagasiner un maximum de biens à rendement élevé pendant un momentum de marché qui ne nous semble pas la norme », synthétise-t-il. Car il est convaincu que le marché repartira un jour à la hausse.
Diverses tactiques
Pour profiter de cette « braderie », chacun a son plan. Iroko a choisi la « granularité » : multiplier les « petites » acquisitions, inférieures à 20 millions. « Ce marché, qui intéresse moins les gestionnaires d’actifs, nous permet d’être plus agressifs sur nos offres », annonce Pierre-Antoine Burgala. 90 biens ont été acquis en deux ans.
Parmi eux, on compte la polyclinique d’Aubervilliers, le siège du Health Service Executive (la Sécurité sociale irlandaise), le ministère de l’Immigration espagnol … Mais aussi des pharmacies, crèches, agences de Pôle emploi…
Remake, de son côté, se focalise sur des biens « plus institutionnels » et donc plus onéreux (jusqu’à 35 millions d’euros). En plus d’un an, le gestionnaire a conclu 27 deals, dont des actifs « prestigieux » : la fondation Leitat en Catalogne (le « CNRS » espagnol) ou un bel ensemble dans le centre de Dublin. Tout récemment est venu s’ajouter un immeuble de bureaux loué à Safran, sur la commune de Massy.
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Côté commercialisation, les orientations diffèrent. Remake a fait le choix d’être largement disponible en assurance vie : Spirica, Suravenir, Generali, Apicil… Elles lui apportent 60% de sa collecte. À l’inverse, Iroko privilégie la vente directe et les conseillers en gestion de patrimoine : Zen n’est disponible que dans les assurances vie Ageas et Prepar-vie (mais va bientôt intégrer l’offre de Suravenir).
Une philosophie qui séduit
Malgré des différences, ces fonds ont une même philosophie diversifiée dans les activités et zones géographiques. Les gestionnaires se veulent « opportunistes », passant d’une typologie d’immeubles à une autre.
Les critères : des emplacements à fort potentiel, des prix dégradés, un rendement dépassant les 6,5% et des locataires solides. « On n’avait pas pour objectif d’acheter un immeuble au cœur de Dublin, assure David Seksig de Remake. Mais 6 500 euros du m2, alors que c’était 10 000 il y a quelques mois, c’est une vraie opportunité. »
La réactivité est favorisée par l’apport d’argent des épargnants. La nouveauté, l’absence de frais et les premières performances attirent : fin 2023, Iroko approchera 500 millions d’euros de capitalisation, quand son dauphin, Remake, frôlera les 400. Ce qui permet de « stocker » de jolis rendements, pour lisser une bonne performance « le plus longtemps possible ».
À plus long terme, nos interlocuteurs restent prudents. Quand ils auront atteint, dans trois à cinq ans, le milliard d’euros d’encours, Iroko et Remake ont conscience qu’ils auront perdu de leur agilité. De quoi viser un objectif « raisonnable » de 5,5% annuel. Une fois dépassé le milliard, Iroko prépare la suite : les épargnants seront orientés sur un nouveau véhicule, Zen 2, pour repartir sur une feuille blanche. « Sinon, on perdrait progressivement l’âme de notre SCPI », soutient le directeur général adjoint.
Mais l’approche n’est pas parfaite. Si on fait le calcul, au bout de deux décennies, une SCPI très performante peut devenir plus avantageuse, malgré les frais. Mais les nouvelles générations patienteront-elles plus de 20 ans ? Iroko, Novaxia, Axipit et Remake ciblent ceux dont l’horizon d’investissement se limite à 5 ou 10 ans, pour qui leur offre sera systématiquement plus intéressante.
La concurrence préfère garder le silence. De façon anonyme, des experts s’étonnent de leur réussite, et sont gênés par la démarche. « Quand on s’investit sur une SCPI, c’est pour du long terme, nous indique-t-on. Si on rend un produit très liquide, on perd l’esprit de l’immobilier… »
Refusant d’entrer dans le débat, les nouveaux acteurs restent modestes. « Le contexte nous bénéficie, tant mieux, mais les autres ne sont pas devenus mauvais pour autant, nuance David Seksig. Ils ont pris de plein fouet une crise financière. On espère que les choses s’arrangeront pour l’ensemble du marché. » Arriver au bon moment permet de performer, mais il faudra voir la résistance en cas de nouvelle crise. « Il ne faut pas enterrer les vieux dont la performance valide la gestion depuis des décennies », confirme Pierre-Antoine Burgala.
Malgré tout, hormis un historique et une belle marque (ce qui n’est pas rien), quel avantage a-t-on d’investir dans des véhicules avec frais ? Le cofondateur de Remake répond par une question : « aujourd’hui, quel produit d’investissement impose 10% à l’entrée ? ». Si la « banque la moins chère » s’invite dans la danse, cela apportera quelques éléments de réponse…
Remake développe du logement social
Si une quarantaine de SCPI sont labellisées ISR, Remake offre une approche originale. 5 à 10% de la collecte est investie dans des « immeubles à fonction sociale » : logements sociaux, hébergements d’urgence, projets associatifs… « Nous n’en attendons pas de rentabilité, mais des performances extrafinancières », souligne David Seksig. Il s’agit d’une forme de « compensation ». « Quand on investit dans une zone, on participe d’une certaine façon à la spéculation, et donc sa gentrification. Ce qui contribue à l’exclusion. » Et même si 35 millions semblent « une goutte d’eau », le co-fondateur remet les choses à leur place. Si toutes les SCPI avaient la même approche, « cela ferait la différence ».