La Tribune Dimanche 19/11/2023
FRANÇOIS ASSELIN (CPME) , PATRICK MARTIN (MEDEF), DOMINIQUE MÉTAYER (U2P)
« Simplifier plus et plus vite »
3 min • MONSIEUR LE PRÉSIDENT…
« Mais arrêtez donc d’emmerder les Français ! Il y a trop de lois, trop de
textes, trop de règlements dans ce pays ! On en crève ! » Soixante ans plus
tard, la célèbre apostrophe de Georges Pompidou, alors Premier ministre, à
son jeune conseiller Jacques Chirac venu lui présenter un parapheur rempli de
décrets n’a malheureusement pas pris une ride !
Certes, le gouvernement a rouvert le chantier de la simplification
administrative, mais, hélas, cela ne suffit pas. L’inflation de normes législatives
applicables aux entreprises est préjudiciable au développement de notre
économie. Nous demandons au gouvernement d’aller beaucoup plus vite et
beaucoup plus fort dans la simplification. Et nous sommes prêts à y prêter
main-forte.
Ainsi, entre 2002 et 2023, souvent sous l’effet de l’apparition de phénomènes
nouveaux comme les nécessaires transitions écologique et numérique, le droit
français a doublé de volume, totalisant désormais 45,3 millions de mots.
L’adage « nul n’est censé ignorer la loi » est devenu une fiction démocratique.
Le calcul est simple : admettons qu’un citoyen décide de se mettre au niveau,
au rythme de 300 mots lus à la minute, il lui faudrait cent cinq jours sans
discontinuer pour lire la réglementation française.
2021 a été une année record pour l’inflation normative avec 67 lois, 91
ordonnances, 1 843 décrets et 83 570 pages publiés au Journal officiel. Même
les élus locaux s’inquiètent. Asphyxiés par un stock de plus de 400 000 normes,
ils ont dénoncé une forme de « harcèlement textuel ». Le Code général des
collectivités territoriales a triplé de volume en vingt ans. Le Code du commerce
a crû, quant à lui, de 364 % sur cette période, et celui de la consommation de
311 %.
Notre pays n’a pas seulement besoin de « mieux de droit », mais aussi de «
moins de droits », pour plus de liberté et de prospérité.
Les intentions sont souvent bonnes mais trop souvent inapplicables, voire
absurdes, et ont pour effet de mettre les entreprises en situation d’insécurité
juridique.
Nous pensons ici au nouveau bonus réparation textile alimenté par pas moins
de 104 taxes pour 104 types de vêtements différents, ou bien encore
l’obligation pour certains salariés de tenir la rampe lorsqu’ils descendent un
escalier…
Même si le gouvernement prône, de bonne foi, la frugalité normative, les
habitudes ont la vie dure : un problème conjoncturel ? une norme, parfois –
disons-le – avec l’assentiment des entreprises.
Trop de lois tue la loi ? Pour certains, oui. Pour nous entrepreneurs, qui
n’avons pas d’autre choix que de les appliquer, la complexité administrative
décourage, casse les initiatives et augmente considérablement nos charges.
L’OCDE en a d’ailleurs chiffré le coût : la complexité administrative absorbe
entre 3 % et 4 % de notre PIB chaque année.
Les dirigeants de TPE-PME y consacrent jusqu’à un tiers de leur temps. Une
réduction de 25 % de la charge permettrait aux entreprises des économies de
l’ordre de 15 milliards d’euros. C’est une perte considérable – pour notre
économie, la création de valeur, nos emplois – qui n’est pas acceptable.
Depuis la mise en place du Conseil de la simplification en 2014, il reste
beaucoup à faire pour endiguer l’inflation normative sur les entreprises. Nous
suggérons pour cela une méthode qui a fait ses preuves chez nos voisins
britanniques, néerlandais ou canadiens : ministre transversal, rattaché
directement au Premier ministre ; responsabilisation des ministères avec
évaluation annuelle de leurs actions de simplification ; principe du « one in,
one out » ; création d’un comité de contrôle indépendant dirigé par les chefs
d’entreprise pour évaluer les actions de simplification mises en place.
L’inflation vient désormais aussi de Bruxelles. Il est plus que jamais l’heure de
tirer la sonnette d’alarme. Les récentes crises ont débouché sur une explosion
du nombre de textes et de règlements adoptés par la Commission
européenne et le Parlement. Mais, surtout, la France a une fâcheuse tendance
à les surtransposer. Si nous continuons comme cela, on court tout droit à la
catastrophe. Résumons : entre 2017 et 2022, les entreprises françaises se sont
vu imposer un total de 850 nouvelles obligations par le législateur européen,
représentant 5 422 pages de réglementation. Ce qui équivaut en moyenne
pour elles à 12 nouvelles obligations et 73 pages de réglementation par mois.
Cette année, 116 législations sont en préparation.
Dans un contexte de guerre commerciale de plus en plus déclarée entre les
États-Unis et la Chine, la bureaucratie européenne se distingue surtout par sa
propension à produire de la norme sans tenir compte des conséquences pour
les entreprises, en particulier les plus petites d’entre elles. Toutes ont besoin
de temps, de visibilité et d’une « pause réglementaire » leur permettant de
s’adapter à l’ensemble des exigences existantes et nouvelles, notamment en
matière de normes environnementales.
Nous courons avec un boulet au pied. Quand les Allemands transcrivent le
strict nécessaire dans leur droit national, nous en rajoutons une couche. Pour
obtenir des autorisations pour étendre ou créer une usine, notre lenteur
administrative, est rédhibitoire, et nous fait perdre des usines, des marchés et
des emplois.
Le chemin de la simplification doit être emprunté de toute urgence.
Nous comptons sur vous, Monsieur le Président, pour simplifier plus, et plus
vite !