Mondialisation et matières premières

Philippe Chalmin: « La crise de 2020 met fin aux Trente glorieuses de la mondialisation »
Anne Tezenas
La situation épidémique se dégrade en Asie du Sud-Est
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Port du Havre© O. Tjaden/Laif - Réa Port du Havre
INTERVIEW TRANSITION ENERGETIQUE ET MATIERES PREMIERES (3/3) - Philippe Chalmin, professeur d’histoire économique à l’université de Dauphine, qui coordonne le rapport Cyclope publié le 26 mai, explique comment il voit s’esquisser la transition énergétique et plus encore une nouvelle ère économique.
Depuis 35 ans, Philippe Chalmin, professeur d’histoire économique à l’université de Dauphine et spécialiste des matières premières, coordonne le rapport Cyclope- 60 auteurs-, une somme annuelle qui passe au crible l’ensemble des marchés internationaux des matières premières, du cours du palladium en passant par celui du pétrole ou de la volaille. Les coulisses matérielles de nos vies dans lesquelles il voit s’esquisser la transition énergétique et plus encore une nouvelle ère économique.

Challenges - Dans l’édition 2021 du rapport Cyclope, vous écrivez que la crise mondiale de 2020 annonce un changement profond de nos économies et des marchés internationaux.

Philippe Chalmin - Ma thèse, c’est que cette crise est totalement différente de celles qui l’ont précédée, qu’il s’agisse de la crise asiatique de 1997, de la bulle Internet des années 2000 ou de la crise financière de 2008.C’est un tournant majeur comme il y en a eu deux au cours du XXe siècle, la Grande dépression et la crise des années 70 qui a mis fin aux Trente glorieuses. La crise de 2020, elle, met fin à d’autres Trente glorieuses, inaugurées en 1990, celles de la mondialisation, et même de notre croyance dans la mondialisation heureuse. Souvenons-nous de cette époque, des travaux de Fukuyama sur la fin de l’Histoire. Nous étions dans un conte de fées.

La pandémie nous a montré l’envers du décor de la mondialisation.

Disons que le virus est apparu aux yeux de beaucoup comme la conséquence d’une mondialisation débridée dans laquelle on fait tout et n’importe quoi avec des chaînes de production étirées à l’infini. Dans ce mouvement de rejet, il y a à la fois le virus, le dérèglement climatique, les enjeux environnementaux et la biodiversité. Le tout a provoqué la prise de conscience de l’impérieuse nécessité d’une transition écologique en particulier dans le domaine énergétique. Dans cette mutation, le Covid n’est au fond que l’étincelle, comme l’a été le premier choc pétrolier de 73-74. Dans les deux cas, il y avait de nombreux craquements préalables que personne n’a voulu voir.

Choc pétrolier des années 70, Covid, vous pressentez la même puissance de déflagration, mais des conséquences diamétralement opposées.

La crise des années 70 met un terme à la vision keynésienne de l’économie mixte qui a prévalu sur les trente années de l’après-guerre. Paradoxalement, la contestation des années 60 a débouché sur le grand retour du libéralisme. Et c’est grâce à ce mouvement que les Etats-Unis ont été au cœur de la troisième révolution industrielle, celle des technologies de l’information. La crise de 2020 marque, quant à elle, le mouvement inverse avec la remise en cause du « néo-libéralisme ». Joe Biden en est l’illustration parfaite : ses 100 premiers jours tiennent la route par rapport à ceux de Roosevelt en 1933 sur le New Deal qui restent la grande référence en la matière.

A quoi va ressembler la mutation de la mondialisation que vous pressentez ?

Première remarque importante : les grands tournants de l’histoire économique ne sont pas des ruptures brutales. A cet égard, méfions-nous des ayatollahs verts qui prédisent un passage rapide à un monde décarboné. Ceci étant dit, j’observe au moins deux tendances fortes : le retour du dirigisme dans tous les Etats, en réaction au laxisme du marché. Et le verdissement net de leurs actions, particulièrement visible dans les plans de relance économique post-covid. Ainsi, le plan de Joe Biden présenté en mars 2021 ($ 2 250 milliards) a une dimension « verte » à hauteur de 58 %, beaucoup plus en proportion que le Plan Obama de 2009.

Après les discours, le temps de la mise en œuvre pourrait être venu.

Et ce verdissement se produit à la fois pour des raisons économiques mais aussi parce que c’est la volonté des populations. N’oublions pas qu’en 2019, à la veille de la pandémie, c’est Greta Thunberg qui est la « personnalité de l’année ».

Donc vous voyez se dessiner le temps de l’après-pétrole dans les marchés.

Certains signaux ne trompent pas. La semaine dernière, l’agence internationale de l’énergie (AIE) a publié pour la première fois une feuille de route « zéro émission nette de CO2 ». Son scénario est extrême, mais il montre la voie et indique aux Etats qu’il faut cesser tout développement de nouveaux gisements d’énergies fossiles et se reporter massivement sur les énergies bas carbone. Le seul fait qu’il soit publié constitue un signal fort. Le plan de relance de Biden, le Green Deal de l’Europe…

Alors la transition écologique se lit dans les marchés des matières premières ?

Les marchés de crédit carbone vivent une nouvelle étape, signe de maturité. Nous sommes passés au-dessus de 50 euros la tonne de carbone sur le marché des ETS européens. Et au Royaume-Uni qui vient de créer son propre marché, les premières cotations sont supérieures encore. Tout cela montre que nous allons vers la transition énergétique. Elle prendra du temps. Mais je pense qu’à la fin de ce siècle, nos petits-enfants auront la joie d’utiliser des énergies non fossiles non carbonées et bien entendu renouvelables.

Inflation : La hausse des matières premières ne semble pas prête de s’arrêter…
Publié le mercredi 30 mars 2022
CPR AM revient sur risques et les perspectives liées à la situation actuelle avec Bastien Drut, Stratégiste Eco, Arnaud Du Plessis, Gérant or et matières premières, ainsi que Christophe Dehondt, Gérant inflation.

Ce qu’il faut retenir

Pour Bastien Drut, le pétrole russe est devenu un “actif toxique”, conduisant à une sur-demande pour les autres producteurs. Idem pour le Gaz.

Le prix des denrées alimentaires augmente rapidement.

Le conflit risque de maintenir le prix des matières premières à un niveau élevé et pendant longtemps.

Selon Arnaud Du Plessis, le marché se tourne alors vers des valeurs plus cycliques qui résisteraient mieux à l’inflation, à savoir l’énergie et les matériaux.

Pour Christophe Dehondt, il faudra alors attendre 2023 pour voir la hausse des prix marquer véritablement le pas.

Entre poussées inflationnistes et conflit russo-ukrainien, les prix des matières premières connaissent une envolée significative en ce début d’année.

Offensive russe et conséquences macroéconomiques

Si le Kremlin fait face à une vague de sanctions de la part des occidentaux, le secteur énergétique a été relativement épargné par les Européens, victimes de leur dépendance aux hydrocarbures. Pour Bastien Drut, cela n’a tout de même pas empêché le pétrole russe de devenir un “actif toxique” aux yeux de certains. De fait, une grande partie des transporteurs ne veulent plus prendre le risque d’acheminer du pétrole russe (inquiets de ne pas pouvoir débarquer leur marchandise), tandis que certaines banques européennes refusent désormais de financer les raffineries. Cette mise au ban du pétrole de l’Oural a conduit à une sur-demande pour les autres producteurs, entraînant logiquement des pressions à la hausse sur les prix. Même son de cloche pour le gaz, alors que l’Europe tire 40% de ses importations de Russie.

Entre barrières à l’importation côté occidentaux, et à l’exportation côté russe, le prix des denrées alimentaires augmente rapidement à une période où ces derniers étaient déjà à leurs plus hauts historiques. Et cette tendance ne semble pas prête de s’arrêter : les prix des engrais côtoient également leurs plus hauts historiques, et impacteront à la hausse “les prix alimentaires de demain”.

Du côté des banques centrales, face à la flambée des matières premières et son impact sur la croissance, la BCE a décidé de maintenir son cap de normalisation, en s’appuyant sur un taux de chômage au plus bas depuis près de 30 ans. La Réserve Fédérale, quant à elle, n’a pas non plus tremblé et a bien remonté ses taux directeurs, même si la cadence sera un élément crucial pour ne pas rajouter de la volatilité à des marchés déjà nerveux.

La hausse des matières premières ne semble pas prête de s’arrêter

Pour Arnaud Du Plessis, « la poussée inflationniste ne trouve pas son foyer dans la guerre, (…) qui n’aura été qu’un facteur d’accélération ». De manière plus structurelle, la raréfaction de certains matériaux s’accentue, tandis que la consommation des matières premières croît avec l’augmentation de la population et l’apparition de nouveaux besoins.

Les belligérants sont des producteurs majeurs de fer, palladium, et même d’uranium. Ainsi, le conflit risque de maintenir le prix des matières premières à un niveau élevé et pendant longtemps, selon le gérant.

Dès lors, quid de la réaction des banquiers centraux et de hausse des taux ?

Dans un contexte inflationniste et normalisateur, selon Arnaud Du Plessis, il y a un balancier qui s’observe entre les secteurs défensifs dits à duration longue, vers des valeurs plus cycliques qui résisteraient mieux à l’inflation, à savoir l’énergie et les matériaux.

Entre la hausse du pétrole et celle des matières premières, les anticipations d’inflation ont également progressé depuis le début de l’année, et des discours plus agressifs des banques centrales sont désormais attendus. Pour Christophe Dehondt, ces anticipations restent une bonne nouvelle, car elles démontrent qu’elles ont été intégrées par les marchés, et ne devraient donc pas causer de chocs significatifs.

D’après le gérant, l’inflation devrait progresser ces prochains mois en raison de la flambée des matières premières, mais également du retard au calendrier des banques centrales, qui devront également intégrer les surcoûts liés à la transition énergétique. Il faudra alors attendre 2023 pour voir la hausse des prix marquer véritablement le pas.

Neil Dwane est l’ancien CIO actions et stratège mondial d’Allianz Global Investors. Écrivant exclusivement pour Citywire, il s’appuie sur ses années d’expérience pour analyser l’essor de l’investissement thématique et les tendances fondamentales qui se cachent derrière. Pour ses chroniques précédentes, veuillez cliquer ici .

Alors que le consensus s’est déplacé vers la suppression des combustibles fossiles de notre mode de vie, les investisseurs, les entreprises et les gouvernements ont eu du mal à trouver une voie à suivre.

Comment maintenir le niveau de vie actuel, permettre aux économies émergentes de croître et d’échapper à la pauvreté et cesser de nuire au climat par les émissions de CO2 en même temps ?

Il y a beaucoup d’action contre la production et le financement du charbon, même si la Chine et l’Inde dépendent de son utilisation pour l’énergie, et les éoliennes ont besoin d’acier de haute qualité provenant du charbon à coke.

L’industrie du charbon est maintenant stygmatisée et les industries du pétrole, du gaz et des plastiques connexes viendront ensuite. Pourtant, beaucoup semblent ignorer que l’industrie pétrolière à 2 milliards de dollars par an nous conduit, vole, navigue et nous réchauffe tous chaque année. L’arrêt de l’utilisation du pétrole nous ramène à l’époque médiévale.

Nous devons donc être pragmatiques sur la vitesse à laquelle nous pouvons conduire cette transition énergétique des énergies fossiles vers des solutions plus vertes car tout l’édifice économique est construit sur le pétrole. Cette transition est doublement difficile car de nombreuses solutions vertes, telles que l’énergie éolienne et solaire, sont intermittentes et ne produisent pas toujours l’électricité quand nous le voulons.

Il existe un besoin urgent de stocker cette énergie récupérée pour une utilisation ultérieure en utilisant des batteries ou de l’hydrogène. Pire encore, les centrales éoliennes et solaires ont une puissance maximale énorme, mais ne peuvent souvent fonctionner qu’à une efficacité de 30 à 50 %, ce qui crée le besoin d’encore plus de parcs éoliens.

Nous sommes tous conscients que l’efficacité du stockage des électrons dans une batterie est un processus lent et que les batteries diminuent avec le temps. Les batteries peuvent même ne pas être vraiment évolutives au niveau économique, ni le lithium suffisamment abondant.

Le stockage des molécules d’hydrogène est similaire au gaz naturel, où d’énormes infrastructures existent déjà et, bien sûr, la combustion d’hydrogène produit de l’eau, ce qui peut permettre une répétition illimitée.

Faire face aux démons
Ainsi, en essayant de rester pragmatiques sur cette transition, les gouvernements devraient d’abord revenir à l’industrie de l’énergie nucléaire, car elle reste la meilleure source d’énergie de base stable.

Malgré sa diabolisation, le nucléaire a de solides antécédents en matière de fourniture d’électricité et son défi en matière de déchets toxiques est dérisoire en comparaison des tonnes de batteries de véhicules électriques (VE) qui devront bientôt être enterrées, car elles ne peuvent pas être retraitées.

Toute augmentation de la production électronucléaire fera inévitablement monter la valeur des mines et des stocks d’uranium, qui offrent un potentiel d’investissement intéressant dans ce contexte. Deuxièmement, je pense que les gouvernements devraient créer un nouveau « Projet Manhattan II » pour créer la fusion nucléaire, qui est la solution ultime à long terme, fournissant une énergie presque illimitée.

Les investisseurs dans ce voyage de décarbonisation doivent se concentrer sur les opportunités pour l’hydrogène de remplacer le pétrole et le gaz dans tous les secteurs économiques où ils ont dominé.

Les transports évoluent désormais rapidement vers l’électrification, ignorant que la plupart des pays utilisent encore environ 50 % de sources de combustibles fossiles. Cependant, si les véhicules électriques sont adaptés aux trajets plus courts et offrent de nombreux thèmes d’investissement dans les automobiles, le câblage, les chargeurs domestiques, etc., ils ne répondent pas au besoin croissant d’électricité sans lequel les batteries ne peuvent pas être rechargées.

Nouvelle réflexion en réseau
L’augmentation massive de l’électricité requise nécessitera également de nouveaux réseaux électriques et des mises à niveau du contrôle du système local. Les camions, bus, trains, bateaux et avions ne peuvent pas utiliser de batteries car elles seraient trop lourdes.

Il semble donc inévitable que cette transition énergétique soit dominée par l’entrée et l’inclusion de l’hydrogène dans l’économie, car il peut jouer le rôle de carburant, de source d’énergie et de réserve d’énergie, recyclable à l’infini. Trop beau pour être vrai.

L’hydrogène est d’usage courant depuis un certain temps, généralement synthétisé à partir de gaz naturel, connu sous le nom d’« hydrogène gris », ou à partir d’une certaine électrolyse alcaline. Le monde utilise environ 70 millions de tonnes d’hydrogène par an et cela exploserait plus de 100 fois si nous devions totalement décarboniser d’ici 2050.

La synthèse du gaz naturel crée d’énormes quantités de CO2, qu’il faudrait désormais capter et séquestrer indéfiniment sous terre et est connu sous le nom d’« hydrogène bleu ».

Pourtant, il n’y a pas d’exemples avérés de cette séquestration ni quelles pourraient être les conséquences de l’échappement de CO2 à plus long terme. L’hydrogène bleu ne semble pas répondre à l’objectif vert, mais il convient aux grandes sociétés pétrolières et gazières et au besoin urgent d’utiliser les actifs et les pipelines échoués le plus longtemps possible.

Les électrolyseurs alcalins sont également courants et rentables, mais augmenter leur échelle pour répondre à la demande future créerait de plus grandes usines de produits chimiques caustiques et toxiques qui pourraient endommager davantage l’environnement. Il existe d’autres moyens de créer de l’hydrogène qui nécessitent des températures très élevées pour fonctionner, mais d’où viendra cette chaleur alors que les industries essaieront d’utiliser moins de charbon, de pétrole et de gaz ?

Recherche de solutions
La solution la plus évidente pour fournir de l’hydrogène vert consiste à utiliser un électrolyseur PEM (membrane électrolytique polymère) qui sépare l’eau en hydrogène et oxygène à l’aide d’une énergie renouvelable, qui peut ensuite être utilisée ou stockée, à volonté.

Les PEM existent depuis un certain temps, mais la clé de leur succès réside dans l’efficacité de l’électrolyseur, sa fiabilité et sa capacité à être mis à l’échelle jusqu’à une taille énorme.

Jusqu’à ce que la transition énergétique devienne plus urgente, l’hydrogène était facilement disponible à partir des énergies fossiles. L’inconvénient de coût actuel de l’hydrogène PEM a maintenant disparu et de nouvelles avancées devraient faire de l’hydrogène vert une solution viable, à mesure que l’échelle de l’énergie renouvelable augmente également.

La quantité d’hydrogène vert nécessaire pour remplacer les carburants carbonés et soutenir l’économie du futur est vaste, l’hydrogène est donc désormais l’un des thèmes d’investissement les plus attractifs au monde.

Nous devrions nous attendre à voir des politiques vertes nationales dévoilées à l’approche de la COP26 de l’ONU au Royaume-Uni en novembre. Les réglementations, les incitations et la tarification du carbone favoriseront les mutations industrielles et les investissements dans les années à venir.

Il faudra de la patience dans cette transition énergétique car chaque économie pivotera à son rythme et à sa manière à mesure que ses industries et ses consommateurs s’adapteront. Les taxes carbone aux frontières et les taxes carbone commencent déjà à perturber les chaînes d’approvisionnement de l’industrie et augmenteront l’adoption de l’hydrogène.

Les taxes sur le carbone aux frontières sont également déjà considérées comme une attaque contre la puissance exportatrice de la Chine, ajoutant ainsi une tournure géopolitique. Pourtant, le plus grand défi pour le monde pourrait bien être que les nations les plus riches aient besoin de financer cette transition énergétique pour les plus pauvres, où il y a eu beaucoup de discussions sur le G7 mais peu d’argent jusqu’à présent.

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