Challenge
Les époustouflantes performances du Private Equity peuvent-elles vraiment durer?
Eric Treguier
Les fonds de private Equity rapportent plus de 12% par an en moyenne
Au moment où les épargnants s’inquiètent des risques de crise financière, les fonds de capital-investissement affichent des résultats record. Faut-il craquer et souscrire un de ces fonds qui affichent en moyenne plus de 12% de performance par an? Réponse: il est trop tard. Ou encore trop tôt…
Le dernier sondage sur les Français et leur patrimoine, réalisé par MIS en mai dernier pour le salon professionnel Patrimonia, le montre bien: plus d’un épargnant sur deux s’attend à une nouvelle crise financière. « 13% ont même investi ou placé leurs économies dans des valeurs plus sûres afin d’éviter de les voir disparaître en cas de crise économique », explique Annelies Helmer, commissaire générale de Patrimonia. Leur autre bête noire, c’est l’inflation: 85% d’entre eux la craignent. Comment investir en temps de crise financière et boursière?
La solution: le capital-investissement
La réponse, il faut peut-être la chercher dans une autre étude, celle de la société de conseil EY pour le compte de France Invest, un regroupement de sociétés d’investissement, qui ont accompagné financièrement près de 9.000 entreprises, dont trois quarts sont des PME. Cette étude démontre que, quelle que soit la conjoncture, il vaut mieux investir dans le capital-risque que dans tout autre actif ou placement. Pour rappel, investir dans le capital-risque signifie souscrire un de ces fonds qui accompagnent les entreprises en investissant à côté de leurs dirigeants ou actionnaires principaux, aident à développer leur business et revendent leurs parts au bout de quelques années (entre 5 et 7 ans). L’an dernier, les fonds de capital-investissement français ont investi 36 milliards d’euros dans 2.500 entreprises et projets et ont cédé des parts dans 1.500 autres. Et l’étude d’EY porte sur 700 de ces fonds, gérés par 125 sociétés de gestion…
Le meilleur placement actuel?
Le plus étonnant, dans cette étude, c’est que même la pierre est battue à plate couture par l’investissement au capital des entreprises. Depuis 2007, ce placement en « private Equity » a rapporté en moyenne 12,2% par an. C’est bien mieux que la Bourse (6,1% par an en moyenne) et même que l’immobilier (6,3% par an en moyenne). Sur plus courte période, 10 ans par exemple, c’est encore mieux: le capital-investissement a rapporté 14,5% annuels. Cela représente, explique Stéphane Vignals, associé EY Strategy ans Transmissions, « un écart de rendement significatif de l’ordre de 3 points par an par rapport au CAC 40 sur 10 ans et de 6 à 7 points sur 15 ans. » Pour Claire Chabrier, présidente de France Invest, « c’est le résultat du travail d’accompagnement très actif des actionnaires professionnels, que nous sommes, pour aider les entreprises à grandir et à créer de la valeur dans la durée. » Certains fonds affichent des performances encore plus étonnantes: ainsi Astorg, qui a récemment mené l’entrée au capital d’Ecovadis (photo), nouvelle licorne française, affiche par exemple une performance moyenne par an de 27% depuis son origine. Le fonds, qui gère 14 milliards d’euros, compte environ 20% de d’épargnants français parmi ses souscripteurs.
Un risque de « Bulle »?
Les lecteurs affûtés objecteront que tout allait sans doute bien jusque fin 2021, mais que 2022 sera une autre affaire… C’est vrai. L’étude d’EY pour France Invest est une image figée à fin 2021 qui ne prend pas en compte les soubresauts économiques, politiques et géopolitiques qui ont fait lourdement chuter les marchés début 2022 et impacteront la croissance: guerre en Ukraine, inflation, hausse des coûts des matières premières, difficultés d’approvisionnement, hausse des taux… Une inquiétude légitime, donc, accentuée par la sortie, il y a quelques jours, de Vincent Mortier, patron de la stratégie d’investissement d’Amundi (leader européen de la gestion d’actifs) qui alertait sur l’existence d’une « grosse bulle sur les marchés privés ». Cela a fait réagir les professionnels. Du côté de Bpifrance (31 milliards d’euros gérés), on souligne que « plus de 60% des sorties d’investissement se font auprès d’acquéreurs qui ne sont pas des fonds: on n’est pas dans un mécanisme circulaire. » Exit le risque de bulle, donc. Mais cela ne suffit à éliminer les inquiétudes…
Des investissements à crédit
Car ce qui est sûr, c’est que la hausse des taux d’intérêt et le ralentissement économique vont peser sur les entreprises non cotées, surtout celles qui ont été rachetées par le biais d’une dette avec effet de levier (LBO). Une étude de S&P Global montre qu’un fort ralentissement de l’économie pourrait faire monter les taux de défaut des entreprises dites « spéculatives » de 0,7% à 3% d’ici à mars 2023. Cela n’empêche pas les levées de fonds record: la société américaine Advent International vient ainsi de lever 25 milliards de dollars. Un autre fonds américain, CD&R, vise 25 milliards et Blackstone, numéro un mondial du private equity, veut même lever 150 milliards de dollars, pour gérer plus de 1.000 milliards de dollars d’actifs d’ici à la fin de l’année. Compte tenu de la baisse de valeur des entreprises qui composent son portefeuille, l’objectif semble aujourd’hui, difficile à atteindre. Reste que cette crise de 2022 n’est pas la première que traverse le secteur et que le rendement moyen affiché à long terme tient compte de ce genre de soubresauts. Beaucoup d’épargnants voient dans la crise actuelle une menace sur leur patrimoine. Certains gestionnaires y voient une opportunité: l’occasion d’investir à bon prix…