Les folles promesses des supraconducteurs

Voiture électrique, train, fission nucléaire : les folles promesses des supraconducteurs

Par Maxence D’Aversa le 04.08.2023 à 16h00

Des chercheurs sud-coréens affirment avoir découvert un nouveau supraconducteur qui repousserait toutes les limites du possible. Un matériau qui pourrait avoir de nombreuses applications industrielles, mais qui sème encore le doute chez les scientifiques.

JULIEN BOBROFF, FREDERIC BOUQUET, JEFFREY QUILLIAM, LICENCE CC BY-SA 3.0

Depuis un peu plus d’une semaine, les scientifiques du monde entier sont entrés dans un état superposé de choc, d’excitation et de doute après l’annonce par un groupe de chercheurs du Quantum Energy Research Centre de Corée du Sud du premier supraconducteur à température et à pression ambiante du monde.

Pourquoi autant de bruit ? On connaît les supraconducteurs depuis des décennies : ce sont des matériaux qui ont la particularité de pouvoir transporter l’électricité sans aucune résistance, donc sans perte, et sans fabriquer de chaleur. Les matériaux connus jusqu’alors ont un vilain défaut : ils ont besoin d’une température très basse — autour de -150 degrés depuis les années 90 —, ou d’une pression très importante pour fonctionner.

Or le LK-99 — le nom du matériau sud-coréen —, éviterait ces deux écueils, et aurait, de surcroît, le bon goût d’utiliser des composants relativement courants comme le plomb, le phosphore et le cuivre.

« Si c’est vrai, c’est rĂ©volutionnaire Â», estime Henri Mariette, chercheur en physique du solide Ă  Grenoble. Mais pour l’heure, l’étude n’a pas Ă©tĂ© relue par les pairs. Partout dans le monde, des chercheurs s’activent pour tenter de reproduire ces rĂ©sultats, sans succès pour le moment.

"Je regarde tout cela avec excitation, mais Ă©galement prudence, tempère Florence LĂ©vy-Bertrand, physicienne spĂ©cialisĂ©e dans les supraconducteurs, Ă©galement Ă  l’institut NĂ©el du CNRS, Ă  Grenoble. « Le fait qu’ils n’aient pas dĂ©posĂ© de brevet avant de publier leurs rĂ©sultats me fait penser que ce n’est pas très sĂ©rieux. Â»

Beaucoup trop tôt pour parler de révolution, donc, même si certains travaux théoriques préliminaires suggèrent qu’un tel matériau pourrait exister. Si ces affirmations étaient vraies, de nombreuses industries se verraient bouleversées. Voici quelques-unes qui auraient le plus à gagner.

La fusion nucléaire : recréer un Soleil sur Terre

Du nucléaire sans déchets radioactifs et sans risques, est-ce possible ? C’est en tout cas la promesse de la fusion nucléaire, le procédé inverse de la fission que l’on utilise dans les centrales actuelles. Il consiste à recréer une sorte de Soleil artificiel où les atomes d’hydrogène, portés à une température énorme, fusionnent en libérant des quantités massives d’énergie. Un procédé qui a de forts avantages, puisqu’il dispense d’utiliser des atomes lourds et radioactifs comme l’uranium.

Beaucoup d’expĂ©rimentations actuelles reposent sur de puissants aimants supraconducteurs, qui compriment le plasma Ă  très haute tempĂ©rature oĂą se produisent les fusions. Mais pour y arriver, comme Ă  ITER, un prototype dans les Bouches-du-RhĂ´ne, « il faut de forts champs magnĂ©tiques ; or ces supraconducteurs, qui fonctionnent Ă  une tempĂ©rature critique plus Ă©levĂ©e vont normalement avoir des champs critiques plus Ă©levĂ©s Â» avance Florence LĂ©vy-Bertrand.

Autrement dit, si la solution testée par ITER avec des supraconducteurs classiques ne fonctionnait pas, ces nouveaux matériaux pourraient s’y substituer. De quoi fortement accélérer le développement de cette technologie de production d’électricité écologique et non intermittente. Car pour l’heure, les experts ne l’estiment pas mature avant une cinquantaine d’années.

Des batteries pour les voitures électriques et des avions plus légers

Que se passe-t-il si on enferme de l’électricité dans une bobine court-circuitée ? Les fils chauffent et en quelques millisecondes, toute l’énergie est perdue : c’est l’effet Joule. Mais que se passerait-il si on utilisait une bobine supraconductrice ? Alors le courant resterait indéfiniment, car il n’y a pas de perte, et pourrait être récupéré en un temps très court.

En France, plusieurs dispositifs de stockage de l’électricité par l’intermédiaire de supraconducteurs sont testés, notamment à Grenoble. Mais ils viennent accompagnés de puissants dispositifs de refroidissement à l’azote liquide, qui grèvent leur intérêt et qui augmente leur coût.

La possibilité d’avoir un supraconducteur à température ambiante pourrait donc être révolutionnaire, notamment pour les véhicules électriques, qui pourraient avoir des dispositifs de recharge presque instantanée. Une voiture électrique pourrait se charger aussi rapidement qu’on fait le plein d’essence.

Les circuits Ă©lectroniques des vĂ©hicules pourraient Ă©galement ĂŞtre amĂ©liorĂ©s avec des câbles qui font circuler l’électricitĂ© sans perte. « Des chercheurs ont imaginĂ© mettre des câbles supraconducteurs dans les avions, ce qui abaisserait leur poids et donc le besoin de carburant Â», explique par exemple Florence LĂ©vy-Bertrand.

Des trains à suspension magnétique pour améliorer la cadence

« Un fil supraconducteur repousse le champ magnĂ©tique autour de lui, ce qui peut se manifester par des effets tels que la lĂ©vitation magnĂ©tique, oĂą les objets sont soulevĂ©s Â», s’enthousiasme Henri Mariette. Pourquoi ne pas utiliser ce principe pour faire flotter des trains Ă  quelques centimètres des rails, afin d’éviter les frottements ?"

C’est le principe des trains à suspension magnétique, comme il en existe en Chine et au Japon. Mais ces derniers sont pour l’heure refroidis avec de l’hélium ou de l’azote pour les garder à -150 degrés. Là encore, avec un matériau à température ambiante, le chemin serait bien plus simplifié.

« Par rapport aux TGV, les trains Ă  suspension magnĂ©tique ne sont pas beaucoup plus rapides, mais ils Ă©vitent le recours aux catĂ©naires, et permettent des cadences beaucoup plus importantes Â», Ă©labore Florence LĂ©vy-Bertrand

Eviter de produire de l’électricité pour rien
Le transport et la distribution de l’électricité en France sont très efficaces, les pertes ne représentent qu’environ 2 % à 3 % de toute l’électricité produite, selon RTE. Ce n’est pas le cas partout : le taux monte à 5 % aux États-Unis et à 19 % en Inde, par exemple. Au niveau mondial, c’est 1 milliard de tonnes de CO2 qui est émis chaque année par la production de cette électricité qui se retrouve simplement perdue lors de la distribution.

Or les supraconducteurs à température ambiante permettraient une refonte presque complète du réseau. Les pertes de transmission seraient éliminées puisque les supraconducteurs n’ont aucune résistance à l’électricité. Le réseau d’électricité pourrait également se passer des lignes à très haute tension et de leurs pylônes, simplifiant la distribution.

Des IRM beaucoup plus accessibles

Les appareils d’imagerie par résonance magnétique utilisent aujourd’hui des supraconducteurs refroidis par de l’hélium liquide. Un IRM utilise par exemple jusqu’à 2.000 litres de ce gaz noble, qui se vend de 20 à 40 euros le litre.

Mais depuis quelques années, ce gaz est de plus en plus difficile à trouver, comme le rapporte l’Usine Nouvelle, et les médecins s’inquiètent des conséquences pour l’avenir de cette technologie dans le monde médical. À court terme, les appareils d’IRM pourraient coûter plus cher à utiliser. À long terme, une pénurie irrémédiable pourrait sonner le glas des appareils actuels.

Parce qu’ils fonctionnent Ă  tempĂ©rature ambiante, ces nouveaux supraconducteurs Ă©limineraient cette dĂ©pendance. Surtout, « nous n’aurions plus besoin de toute la carcasse de l’appareil qui refroidit Ă  moins 150°. Et cela coĂ»terait beaucoup moins cher Â», considère Henri Mariette.

Outre toutes ces possibilités, les supraconducteurs ont également un intérêt dans le monde de la recherche fondamentale ; ils sont notamment utilisés dans le gigantesque accélérateur de particules du CERN, en Suisse.

Mais dans le monde des supraconducteurs, il faut savoir se méfier des effets d’annonce. En mars, des travaux d’une équipe américaine, pourtant publiés dans la très prestigieuse revue Nature, avaient fait naître le doute des chercheurs quant à des suspicions de manipulation des données.