Peut-on se passer du charbon ?
Cette ressource, responsable de 60 % de la hausse des émissions de gaz à effet de serre, commence à être abandonnée par les pays européens, qui misent sur le renouvelable. Les pays en développement ne sont pas près de s’en détourner.
FRÉDÉRIC DE MONICAULT
ÉNERGIE LE CHARBON A-T-IL ENCORE SA PLACE DANS LA PRODUCTION D’ÉNERGIE ? DEPUIS LA COP21 - LA GRANDE CONFÉRENCE MONDIALE SUR LE CLIMAT ORGANISÉE FIN 2015 À PARIS -, LA QUESTION SE POSE AVEC ENCORE PLUS D’INSISTANCE. LES SPÉCIALISTES DE L’ENVIRONNEMENT N’ONT PAS MANQUÉ DE RAPPELER QUE DEPUIS LE DÉBUT DES ANNÉES 2000 LA COMBUSTION DE CHARBON EST RESPONSABLE DE 60 % DE LA HAUSSE DES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE. ET DE PLUS EN PLUS DE VOIX S’ÉLÈVENT CONTRE CETTE SOURCE D’ÉNERGIE, Y COMPRIS CHEZ LES INDUSTRIELS. ENGIE (EX-GDF SUEZ) A AINSI ANNONCÉ L’ANNÉE DERNIÈRE QU’IL RENONÇAIT À TOUT NOUVEAU PROJET DANS LE CHARBON. À L’ÉCHELLE DES PAYS, LE ROYAUME-UNI, POURTANT UN FIEF DE L’INDUSTRIE HOUILLÈRE, A INNOVÉ EN DÉCRÉTANT LA FERMETURE COMPLÈTE DE SES CENTRALES À CHARBON À L’HORIZON DE DIX ANS. CE QUI N’EMPÊCHE PAS CETTE ÉNERGIE DE RESTER L’UN DES MOTEURS DU DÉVELOPPEMENT DE LA CHINE ET DE L’INDE. ALORS, LA FIN DU CHARBON EST-ELLE PROGRAMMÉE OU SERA-T-ELLE SEULEMENT L’APANAGE DE QUELQUES RÉGIONS DANS LE MONDE ?
Une énergie très utilisée…
Le chiffre est éloquent : avec une part de près de 30 %, le charbon est aujourd’hui la deuxième source d’énergie primaire utilisée dans le monde, derrière le pétrole, mais devant le gaz. Pour la production d’électricité, il arrive même en première position, avec une contribution supérieure à 40 %. Certes, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) vient d’abaisser de 500 millions de tonnes sa prévision de demande mondiale de charbon d’ici à cinq ans - sensiblement sous la barre des 9 milliards de tonnes prévues en 2019 - mais ses statistiques attestent d’une courbe dynamique : entre 2000 et 2013, la consommation mondiale a grimpé de près de 4 % par an. L’équivalent d’un gros réacteur nucléaire de nouvelles centrales à charbon a été livré en moyenne chaque semaine entre 2010 et 2014.
La position de force du charbon, même si elle a un peu fléchi en 2015, s’explique largement par sa compétitivité : dans le cadre de la production d’électricité, le mégawattheure (MWh) charbon coûte moins de 60 euros, contre 70 pour le gaz, 80 pour le solaire et l’éolien terrestre et, enfin, plus de 100 euros pour le nouveau nucléaire - celui intégrant les dispositifs post-Fukushima. Quant à l’éolien offshore, il dépasse les 200 euros le mégawattheure (MWh).
Certes, les coûts des énergies vertes vont devenir de plus en plus attractifs, mais le charbon possède encore une bonne longueur d’avance, même si d’un pays à l’autre le coût de revient des énergies est soumis à variations. Dans ce contexte, rares sont les grands pays miniers à vouloir faire évoluer leur « mix » énergétique. La Pologne, véritable champion européen du charbon - avec plus de 90 % de l’électricité produite - défend aussi les 100 000 emplois du secteur. Quant aux États-Unis, leur développement dans les gaz et pétrole de schiste leur ont permis d’augmenter significativement leurs exportations de charbon.
Ajoutons que cette énergie est abondante. Au rythme d’exploitation actuel, moins d’un quart des réserves mondiales seront
épuisées avant 2030. Il restera ainsi plus de 900 milliards de tonnes dans le sous-sol, soit largement plus d’un siècle de consommation mondiale.
… mais très décriée
Haro sur le charbon. Pendant la COP21, l’un des grands événements de l’année écoulée, cette énergie a été présentée en permanence comme l’ennemi numéro un du climat. Le discours s’est encore durci après que 195 États ont ratifié, le 12 décembre 2015, un accord qui vise à limiter la hausse des températures à 2° C, voire 1,5° C. Une étude de l’University College de Londres - publiée dans la revue Nature - estime que pour économiser 1 000 milliards de tonnes de CO2 à l’horizon de 2050 - un point de passage obligé pour tenir les objectifs de la COP21 -, près de 90 % des réserves de charbon de la planète devront rester inexploitées.
En attendant, les dégâts du charbon sur le plan climatique sont patents : à titre indicatif, une centrale de 1 000 mégawatts (MW) - l’équivalent d’un réacteur nucléaire de moyenne puissance - produit autant d’émissions de C02 que deux millions de voitures. Quant au gigantesque projet minier Carmichael étudié par l’Australie, il pourrait produire autant d’émissions de CO2 que la Belgique, la Malaisie ou encore l’Autriche. « Le charbon a en outre des effets dévastateurs sur la santé des populations, souligne Célia Gautier, responsable des politiques européennes au sein du réseau Action Climat, en Europe. La pollution dégagée par les centrales est responsable de 18 200 décès prématurés chaque année. »
Jusqu’à présent, les plus incisifs sur les méfaits du charbon étaient les climatologues et les spécialistes des questions environnementales. Ils sont désormais rejoints par un nombre croissant d’investisseurs, soucieux que leurs participations soient le moins carbonées possible. Axa, par exemple, a annoncé au printemps 2015 son désinvestissement des entreprises réalisant 50 % de leur activité grâce au charbon. Son PDG, Henri de Castries, a annoncé parallèlement le triplement des investissements verts d’ici à 2020.
Les pays riches l’abandonnent
C’est une décision politique forte : à l’automne 2015, Londres a annoncé que le Royaume-Uni ne produirait plus d’électricité à partir de charbon d’ici à dix ans. Tandis que les centrales les plus polluantes seront fermées à l’horizon de 2023, l’ensemble du parc s’interrompra définitivement en 2025. Ce virage intervient alors que le charbon a fourni l’année dernière près d’un quart de l’électricité britannique. Mais la plupart des installations sont vieillissantes et donc condamnées par l’application des nouvelles normes environnementales en Europe.
De son côté, la France avait confirmé à la veille de la COP21 qu’elle supprimait les subventions pour les projets à l’export de centrales à charbon sans capture de CO2. Ces gestes à l’échelle des pays sont relayés également par les industriels : Engie (ex-GDF Suez) a indiqué à l’automne 2015 qu’il ne lancerait plus aucun projet charbon à travers le monde.
En revanche, les chantiers déjà lancés (au Chili, Maroc, Brésil et Mongolie) seront maintenus. Gérard Mestrallet, le PDG du groupe, milite pour un prix du carbone, « suffisamment élevé pour qu’il incite les opérateurs à investir dans le renouvelable et à limiter leurs émissions de CO2 ». Le dirigeant croit fermement que ce signal prix va s’imposer comme une nécessité et que les investissements dans les centrales à charbon fortement émettrices seront pénalisés.
Au regard de nombreux industriels, le gaz s’impose déjà comme la meilleure alternative au charbon : « Il s’agit d’une source abondante, bon marché et plus propre, car produisant deux fois moins de CO2 », expose Julien Moulin, le président de Française de l’énergie, une société qui s’apprête à exploiter le gaz contenu dans l’ancien bassin houiller de Lorraine.
Reste le cas épineux de l’Allemagne : après la catastrophe de Fukushima en mars 2011 au Japon, Berlin a accéléré la sortie du nucléaire - tous les réacteurs seront fermés en 2022 - et entamé en contrepartie un très fort programme de développement des énergies renouvelables - avec un objectif de 45 % de consommation d’électricité verte d’ici à 2025. Mais la rançon de l’Energiewende (« tournant énergétique ») est sévère : pour remédier à l’intermittence des énergies vertes, l’Allemagne fait tourner à plein régime ses centrales à charbon, directement alimentées par les mines de lignite de l’est du pays, plutôt que ses centrales à gaz, qui seraient pourtant bien moins polluantes.
« Le prix très bas du charbon - allié à celui, également très faible, du CO2 - rend les centrales à charbon allemandes très compétitives au détriment des centrales à gaz, souligne Dimitri Pescia du think-tank Agora Energiewende. Le pays a exporté 60 térawattheures (TWh) en 2015, soit un électron sur dix produit outre-Rhin. Dans ces conditions, malgré l’essor des énergies vertes, le bilan carbone allemand reste stable. »
Le sous-continent indien de plus en plus gourmand
L’Europe renonce progressivement au charbon, mais c’est encore très loin d’être le cas des économies en croissance. À l’automne dernier, la Chine a même indiqué qu’elle avait largement sous-estimé sa consommation au cours des dernières années. Actuellement, le charbon répond - avec environ deux milliards de tonnes par an - à plus des deux tiers de la demande énergétique du pays. Signe de cette dépendance aiguë, des catastrophes minières surviennent à intervalles réguliers.
En Inde, les autorités prévoient tout simplement un doublement de la consommation de charbon d’ici à 2020. Avec pas moins de 300 millions d’habitants privés d’énergie, le pays cherche beaucoup moins à optimiser son bilan carbone qu’à additionner toutes les sources d’énergie pour améliorer la situation.
À moyen terme, pas moins d’une centaine de nouvelles centrales à charbon devraient sortir de terre. L’Inde, qui produit environ 500 millions de tonnes de charbon par an, importe aujourd’hui 250 millions de tonnes supplémentaires. COP21 ou pas, le gouvernement considère cette source d’énergie comme indispensable à ses projets de développement.
À eux deux, la Chine et l’Inde sont-ils un obstacle infranchissable à une fin programmée du charbon ?
Les défenseurs de l’environnement notent malgré tout avec satisfaction que la consommation chinoise a reculé d’environ 5 % en 2015 et que ce nouveau repli - après déjà une baisse 2,9 % en 2014 - vient confirmer que la Chine a atteint son « pic charbon » en 2013 - selon le diagnostic de l’Institute for Energy Economics & Financial Analysis (IEEFA).
Signe d’une transition énergétique en devenir, la Chinese Wind Energy Association (CWEA) a indiqué début 2016 que les capacités éoliennes avaient crû de 30,5 gigawatts (GW) en 2015 : la puissance du parc éolien chinois, à hauteur de 145 GW, pèse désormais le double de celle des États-Unis, et le triple de celle de l’Allemagne.
Pour l’expert Lionel Taccoen, il suffit d’un peu de patience avant de voir le charbon décliner définitivement à l’échelle de la planète : « Cet horizon ne sera pas atteint au terme d’une révolution immédiate, mais le mouvement, qui va encore prendre de vingt à vingt-cinq ans, est enclenché. On parle parfois de charbon propre, mais les technologies de capture de CO2 restent très coûteuses. En un mot, la fin du charbon arrive, mais pas tout de suite !»