La crise de l’immobilier va-t-elle durer?
Par Jean-Bernard Litzler
DÉCRYPTAGE - Les mauvais signaux s’accumulent depuis des mois débouchant sur un ralentissement inédit de l’activité immobilière.
L’état d’esprit n’est plus le même depuis des mois déjà. Longtemps, on a parlé pudiquement d’un «attentisme» du marché immobilier. Mais les chiffres qui tombent les uns après les autres obligent à constater que le lent réajustement de l’activité se fait dans la douleur. Les projets dans le neuf tout comme la production de crédits affichent des reculs de l’ordre de 40 %. Et les transactions dans l’ancien sont partout en net recul. Les prix, quant à eux, s’ils sont bien orientés à la baisse, font preuve de plus de modération avec des reculs atteignant souvent les 5 %.
Au moment où la plupart des acheteurs subissent de plein fouet le renchérissement du coût du crédit ou ne peuvent simplement plus espérer décrocher un financement, bon nombre d’observateurs attendent un ajustement plus sensible des tarifs. Quant au neuf, la situation est plus délicate encore: les prix continuent à grimper légèrement (entre coût du foncier, de la construction et des matériaux) alors qu’une part grandissante de la clientèle ne peut plus acheter. Une situation qui devient alarmante et a poussé plusieurs organisations professionnelles à se mobiliser pour interpeller les pouvoirs publics. Dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron, les présidents de six fédérations (FFB, Pôle Habitat, Fnaim, FPI, Unis, Procivis) écrivent: «Un électrochoc est indispensable: des mesures applicables immédiatement et puissantes sont nécessaires pour éviter que cette crise ne s’accentue encore.» Un diagnostic que ne partage pas pleinement Jean-Christophe Repon, à la tête du syndicat de la Capeb, le syndicat des artisans. «Parler de crise du logement est abusif, estime-t-il, c’est surtout une crise de la promotion immobilière que nous vivons.»
Pourtant, il faut bien reconnaître que si le neuf affronte les pires difficultés, le marché de l’ancien est en pleines turbulences. Reste à juger de la gravité et de la durée prévisible de cette crise. «Il n’y a pas de blocage du marché à proprement parler comme celui que l’on a pu connaître dans les années 1990 avec des moments d’arrêt quasi-total, souligne Loïc Cantin, président de la Fnaim. Il y a une nette décélération mais l’activité est toujours là.» Moins sérieuse que dans les années 1990 pour l’instant, la crise s’annonce déjà plus durable que le dernier gros trou d’air: celui violent mais bref de 2008.
Après des mois de recul des ventes, c’est celui des prix qui s’amorce et qui pourrait être durable. «La baisse devrait se prolonger au-delà de 2023, estime le dirigeant de la Fnaim, et devrait se lisser dans le temps pour effacer l’impact de la hausse des taux sur le pouvoir d’achat immobilier.» Aux conditions actuelles, on parle d’un recul du pouvoir d’achat immobilier de près de 25 %… Mais les prix nominaux n’auront pas à fondre autant car l’inflation accentue l’effet de la baisse des prix. Un recul de 5 % des prix avec une inflation à 6 % représente, par exemple, une perte de valeur réelle de 10,4 %.
Les acheteurs ont perdu 25% de pouvoir d’achat
Dans son dernier baromètre mensuel des prix, le site d’évaluation Meilleurs Agents constate que les baisses restent faibles pour l’instant avec même un regain d’activité printanier mais précise: «Attention à ne pas voir dans ce léger sursaut de dynamisme la promesse d’une nouvelle inversion de tendance. Bien au contraire…» L’enseigne rappelle que partout la négociation a repris du poil de la bête avec des taux dépassant les 4 % dans les 50 plus grandes villes et en zone rurale. De son côté, le réseau Laforêt note dans son dernier observatoire que «la façade ouest est celle qui résiste le mieux» quand la Fnaim distingue les stations balnéaires et de ski. Signe d’un marché très raisonnable, «le prix est de plus en plus corrélé aux qualités du logement» comme le note Laforêt, ce qui pousse à miser sur les valeurs sûres (localisation, exposition, équipement, qualité du bâti…). «Il n’y a quasiment plus de ventes au prix», admet Julien Haussy, fondateur du réseau Espaces atypiques, qui prévoit une correction des prix de l’ordre de 10 %. «Paris va mieux, tandis que la banlieue et les métropoles régionales ont plus de mal, souligne-t-il. La ruée vers la campagne est moins à l’ordre du jour mais les beaux lieux de villégiature continuent à séduire les Français mais aussi les étrangers.»
Quant aux transactions, elles sont de plus en plus longues à conclure: compter deux mois dans les 10 principales villes de France contre quarante jours en 2020, selon Meilleurs Agents. Chez Laforêt, les délais s’affichent même à quatre-vingt-dix jours. L’impact sur le volume de vente est déjà de -15 % à fin mars, si bien qu’en fin d’année le total devrait passer plus ou moins sensiblement sous la barre du million. Selon les pronostics des uns et des autres, l’année 2023 pourrait se finir entre 850.000 et 950.000 ventes, très loin du 1,2 million de 2022.
Effet de loupe
«Contrairement à d’autres observateurs, je ne pense pas que l’on puisse parler d’accalmie après la frénésie et s’accommoder de ce recul des transactions, souligne Henry Buzy-Cazaux, spécialiste des questions du logement. C’est un marché de besoin et toutes ces transactions empêchées se traduisent par des conséquences néfastes: suroccupation, freins à la démographie, recul de recettes fiscales (TVA sur le neuf et les travaux, droits de mutation) sans parler de l’impact sur l’emploi.» Lui qui appelait de ses vœux une correction des prix à la baisse depuis la crise sanitaire, estime qu’elle est désormais enclenchée et devrait se prolonger. «Les taux bas nous ont poussés à oublier que le logement est trop cher dans notre pays et nous ont fait nous habituer à un foncier trop rare, à des procédures trop complexes et à une fiscalité inéquitable, estime-t-il. La remontée des taux a eu un effet de loupe et d’amplification sur tous ces dysfonctionnements anciens.» Et en attendant qu’ils se résorbent avec des mesures d’accompagnement de longue haleine, des mesures d’urgence s’imposent pour éviter une crise sociale, selon Henry Buzy-Cazaux. Sans grandes illusions sur l’accompagnement qui pourrait résulter du Conseil national de la refondation sur le logement qui doit présenter ses propositions le 5 juin, il estime qu’il faudrait se concentrer sur le crédit. Sans pour autant ouvrir grand les vannes, il serait judicieux de remettre en avant le reste à vivre et attribuer des crédits avec plus de discernement plutôt qu’avec des règles mécaniques.
Des ventes plus difficiles
Du côté des réseaux spécialisés dans le haut de gamme et le luxe, on sent bien évidemment aussi que le vent a tourné mais les conséquences sont nettement moins fortes pour le moment. «Nous vivons une période de rééquilibrage des rapports de forces entre vendeurs et acheteurs comme nous en avons connu d’autres par le passé., analyse sobrement Charles-Marie Jottras, président du réseau Daniel Féau. La période d’un marché très chaud, très dynamique où les vendeurs ne se penchaient que sur les offres au prix est derrière nous.» Sur ce qu’il considère comme des biens «normaux» sur son marché, à savoir des appartements familiaux se vendant entre 1 et 2,5 millions d’euros, état courant, pas d’étage élevé, ni vue, ni espace extérieur, les ventes sont plus difficiles, certains acquéreurs préférant parfois attendre des conditions de marché plus favorables. «L’intérêt pour ces produits est toujours là, tempère-t-il. Et comme c’est un marché structurellement de pénurie, l’impact sur les prix reste limité. En revanche les biens rares, de grande qualité ou exceptionnels sont toujours très recherchés.». D’autant que les étrangers, les Américains en tête, sont de retour, mais aussi des populations habituellement moins présentes comme les Chinois et les Israéliens. Des éléments qui ont poussé le volume d’affaires du réseau Daniel Féau, fin avril, à 50 % au-delà de ce qu’il était avant la crise du Covid (avec quelques agences supplémentaires, il est vrai).
De son côté, Sébastien Kuperfis, à la tête du réseau Junot, enregistre des tendances assez comparables. «Au premier trimestre, sur les offres acceptées, nous notons une baisse moyenne de 5 %, explique-t-il. Et comme les biens d’exception ne baissent pas, cela signifie que pour d’autres, la correction est supérieure à ce chiffre.»
Tension locative
À Paris, il relève que le 10e arrondissement, qui avait beaucoup grimpé, est plus sensible que d’autres au nouvel environnement économique et financier. Là où les prix dans les 16e et 7e et même le 9e arrondissement bougent encore peu, les acheteurs du 10e s’enhardissent à réclamer des corrections jusqu’à 10 %. Mais, surtout, à l’image de nombreux autres professionnels, il alerte sur les difficultés du marché locatif. «Nous avons un nombre grandissant d’appartements locatifs qui partent à la vente tandis que les préavis de départ des locataires sont en chute de 50 % par rapport à l’an dernier. Dès qu’un bien est disponible à la location, il part immédiatement.» Une analyse que partage Loïc Cantin, de la Fnaim, soulignant que les investisseurs locatifs sont victimes d’un effet ciseau avec des taux de rendement qui sont souvent plus faibles que les taux d’intérêt.
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