Iter, le projet de fusion nucléaire, avance pas à pas
Vinci a terminé le génie civil du Tokamak, le bâtiment principal, dans les Bouches-du-Rhône.
EMMANUEL EGLOFF
À Cadarache, ce bâtiment accueillera dans les prochaines années le Tokamak d’Iter, le plus grand réacteur au monde de ce type, capable, à l’horizon 2065, de fournir une énergie durable, non polluante - sans radioactivité ni émissions de CO2 - et sûre.
Le chantier Iter est immense. Pas moins de 39 bâtiments devraient être construits à Saint-Paul-lès-Durance, aux confins des Bouches-du-Rhône. Le plus gros est une immense cathédrale, de 120 mètres de long pour 73 mètres de haut. L’Arc de triomphe y tiendrait facilement à l’intérieur. Et ce mois de novembre 2019 marque une étape importante avec la fin des travaux de ce bâtiment. Les travaux de génie civil, menés par Vinci, sont terminés. Ne reste plus que la pose d’une charpente métallique sur son toit, ce qui sera fait début 2020. Conformément au calendrier défini en 2015. Ce chantier, c’est celui du projet Iter, qui vise à construire un réacteur nucléaire utilisant la technologie de la fusion.
« L’objectif d’Iter est de démontrer la réalité de l’énergie de fusion nucléaire », explique simplement Bernard Bigot, directeur général d’Iter, qui fédère 35 pays. « L’enjeu est énorme car il s’agit de fournir une énergie durable, non polluante - sans radioactivité et sans émissions de CO2 - et sûre », confirme Jérôme Stubler, le président de Vinci Construction, fier d’avoir tenu le calendrier déterminé en 2015. L’environnement est difficile pour les grands projets nucléaires, comme le montrent les difficultés des EPR en France, en Finlande ou au Royaume-Uni. Comme les autres, Iter a connu des débuts difficiles, avec hausse du budget prévisionnel et délais supplémentaires. Les premières discussions autour du projet se sont tenues entre Mikhaïl Gorbatchev et Ronald Reagan en 1985, au temps de la guerre froide. Il a fallu vingt ans de négociations pour un lancement officiel, et le choix du site de Cadarache, à côté du CEA, le commissariat à l’Énergie atomique, sur la commune de Saint-Paul-lès-Durance, pour implanter le projet.
23 000 tonnes, le poids de trois tour Eiffel
La première pierre est posée en 2010. Le projet avance, mais prend du retard. En mars 2015, Bernard Bigot, ancien patron du CEA, est nommé à la tête d’Iter. Il officialise cinq années de retard. Le budget atteint environ 20 milliards d’euros pour la phase de construction. Depuis son entrée en fonction, le nouveau patron tient les délais, comme le montre la livraison du bâtiment Tokamak. C’est le plus stratégique. C’est là que doit être assemblé dans les prochaines années le Tokamak, acronyme russe de chambre toroïdale à bobines magnétiques, le cœur de la centrale nucléaire Iter. L’enjeu est très important pour Vinci : la partie que le groupe français gère représente 700 millions d’euros de contrats. Parvenir à cette livraison relève déjà de l’exploit. Une partie du béton qui le compose contient 750 kg de ferraille par m3, contre à peine 250 kg pour les travaux ordinaires de génie civil. Surtout, les ingénieurs d’Iter n’ont cessé de faire évoluer leur projet, rendant très difficile l’avancée des travaux. « Nous devions faire face à 1,5 modification par jour à l’arrivée de Bernard Bigot, rapporte Jérôme Stubler. Il a exigé que tout nouveau changement soit justifié devant lui, ce qui a permis d’avancer. »
De quoi confirmer le calendrier. « Il y a toujours des problèmes sur un chantier, mais il faut réagir vite, prendre les bonnes décisions pour que ça fonctionne », se félicite le patron de Vinci Construction. Pour autant, l’odyssée d’Iter est loin d’être terminée. Il va falloir assembler le réacteur proprement dit, le Tokamak. Ses composants, construits dans les pays membres de l’organisation, pèsent 23 000 tonnes, soit plus de 3 tour Eiffel. « Il faut être capable d’accélérer un noyau d’hydrogène à 150 millions de degrés dans une boîte de 30 mètres de diamètre, précise Bernard Bigot. Pour y parvenir, il faut être capable de positionner des éléments métalliques gigantesques à une précision d’un demi-millimètre pour créer une cage magnétique géante. » Les obstacles à surmonter sont encore énormes. Mais le patron du plus grand projet mondial en matière d’énergie y croit.
Prochaine étape, en 2025, pour commencer à faire fonctionner le réacteur. Puis, il faudra réussir à produire de l’énergie, c’est-à -dire plus que celle nécessaire pour réaliser la fusion. En théorie, un gramme d’hydrogène qui fusionne produit autant d’énergie que 8 tonnes de pétrole. Il faut le démontrer. Ce qui prendra bien une quinzaine d’années. Les industriels pourront alors commencer à investir pour développer leurs propres réacteurs, réellement opérationnels. Le patron d’Iter estime qu’un premier raccordement à un réseau électrique pourrait avoir lieu vers 2065. Iter nous fait un peu revenir au temps des cathédrales, au moins dans l’horizon temporel qui sort d’une seule vie humaine.
Le Figaro - lundi 11 novembre 2019