Bourse : faut-il avoir peur de la dette des entreprises?

Bourse : faut-il avoir peur de la dette des
entreprises ?

Le montant des dettes gonfle, mais, avec la chute des taux d’intérêt, la
charge financière s’allège.

HERVÉ ROUSSEAU

La baisse des taux d’intérêt n’en finit pas : ces derniers jours, le rendement des
emprunts d’État à 10 ans a touché un plus bas historique, à moins de 0,10 %. L’État n’est pas le
seul à profiter de ces conditions de financement exceptionnelles. Les entreprises aussi ont eu
massivement recours à la dette, ces dernières années. Contrairement aux idées reçues, les
Américains se montrent plus raisonnables que les Européens. Pour en juger, les économistes
comparent le montant de la dette détenue par les entreprises au produit intérieur brut (PIB). Aux
États-Unis, les emprunts contractés par les entreprises représentent 47 % de la richesse produite
par le pays en un an. En Europe, la moyenne est de 62 %, avec toutefois d’importantes disparités.
En Allemagne, la dette des entreprises est limitée à 38 % du PIB. En France, c’est 73 %, selon la
Banque de France.

MARCHÉS
Pour Christian Parisot, chef économiste chez Aurel-BGC, « ces disparités sont liées à la
profondeur des marchés de capitaux de chaque pays ». Aux États-Unis, les entreprises peuvent
s’appuyer sur Wall Street, premier marché de capitaux au monde. En Europe, et singulièrement en
France, l’accès aux marchés de capitaux est bien plus restreint, en particulier pour les PME.
Résultat, « pour se financer, les entreprises se tournent largement vers le crédit bancaire », note
Christian Parisot. Les grandes entreprises, qui ont de larges possibilités de financement, sont
moins touchées. Mais la tentation est forte. Ainsi, l’an dernier, pour la première depuis 2012,
l’endettement des sociétés du CAC 40 a augmenté. Elles ont levé 42 milliards d’euros sur le
marché obligataire.
Cette situation ne semble pas inquiéter les investisseurs, comme en témoigne la belle hausse du
CAC 40 depuis le début de l’année (+ 13 %). En effet, le ratio d’endettement sur fonds propres
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reste stable à 25 %, tandis que la charge de la dette ne cesse de diminuer.
« Les sociétés cotées n’ont pas abusé du levier financier »
La plupart des grands groupes français empruntent aujourd’hui à moins de 1 %. Les meilleurs
élèves, comme L’Oréal ou LVMH, parviennent même à lever de l’argent à taux d’intérêt négatif. La
confiance dans ces entreprises est telle que les détenteurs de capitaux acceptent de payer pour
leur prêter de l’argent.

En 2015, le géant suisse Nestlé avait été le premier à emprunter à taux
négatif. Mais, depuis, le cercle de ces emprunteurs ultraprivilégiés s’est considérablement élargi.
« Avec des taux d’intérêt qui sont probablement partis pour rester faibles de façon durable, la
hausse de la dette en valeur absolue ne constitue pas un sujet d’inquiétude », confirme JeanFrançois Gilles, président du directoire d’Erasmus Gestion. Par ailleurs, à la différence des ÉtatsUnis, où les entreprises empruntent pour racheter leurs propres actions, « les sociétés
européennes ont levé de la dette de façon très raisonnable pour investir et soutenir la croissance
future des bénéfices. Dans un contexte d’amélioration des marges et de progression des cashflows, il s’agit d’un mouvement plutôt rassurant », ajoute Jean-François Gilles. La capacité des
entreprises à générer suffisamment de liquidités dans le temps pour assurer le remboursement de
la dette est essentielle.
Les récentes déconvenues du groupe de distribution Casino et surtout de sa société mère Rallye,
dont le cours s’est effondré de près de 50 % en trois ans, montre que la dette peut rapidement
devenir un véritable poison lorsque le cash vient à manquer. Dans le secteur des télécoms, Altice,
la maison mère de SFR, a connu des difficultés comparables. En dépit de son récent rebond, le
titre perd toujours près de 80 % de sa valeur depuis le mois de juin 2016.
Ces exceptions mises à part, « les entreprises européennes cotées en Bourse n’ont pas abusé du
levier financier. Leur sélectivité dans les choix d’investissement s’explique par une grande
prudence face aux signes de ralentissement de la croissance, avec une réduction visible des
échanges commerciaux dans le monde », explique Régis Bégué, directeur de la gestion actions
chez Lazard Frères. Elles ont en revanche privilégié les dividendes en augmentant les taux de
distribution des bénéfices. « Avec un rendement moyen de 4 % pour les actions dans la zone euro,
comparé à un taux à 10 ans proche de zéro, nous nous situons dans une configuration de marché
exceptionnelle », confirme Régis Bégué.
Une certaine prudence est cependant de mise à l’égard des sociétés qui distribuent des
dividendes très élevés. Ceux-ci pourraient ne pas résister à un retournement d’activité.
Contrairement aux attentes, la faiblesse actuelle des rémunérations sur le marché obligataire n’a
pas provoqué de ruée vers les actions à forts rendements. Plutôt que de courir les plus gros
coupons, les investisseurs préfèrent se concentrer sur des valeurs solides qui offrent de belles
perspectives de croissance.

Le Figaro - samedi 15 juin 2019