Jérôme Cornu
Directeur des études et statistiques à la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA)
Publié le 02 Août 2011
Quel regard portez-vous sur la baisse de la collecte que l’on observe dans les contrats d’assurance vie depuis un moment ?Tout d’abord je tiens à souligner que l’on parle d’une baisse de la collecte et non d’une décollecte. Cette nuance est très importante. Nous n’avons pas constaté de décollecte en France depuis 2008, plus exactement depuis octobre et décembre 2008, autrement dit en pleine crise financière. Auparavant, il faut remonter à plusieurs dizaines d’année pour observer une autre vague de décollecte.
Le phénomène de décollecte de l’assurance vie est donc exceptionnel et ne s’est pas produit jusqu’à présent en 2011.
Cependant, il est vrai que la baisse de la collecte brute atteint 8% en juin et 11% depuis janvier. Nous avons connu sept mois de baisse consécutifs de la collecte. De plus, comme les prestations sont en forte progression de l’ordre 14%, un effet ciseau (moins d’encaissements, plus de paiements des prestations) a eu pour effet une diminution de la collecte nette.
Comment expliquez-vous la baisse des cotisations ?
Tout d’abord, nous connaissons une forte concurrence des autres produits d’épargne, de type livrets d’épargne et comptes à terme. Les taux étant ce qu’ils sont, la rémunération de ces produits est bien supérieure à celle de l’année dernière. Dans le même temps, les rendements de l’assurance vie ont légèrement baissé pour s’élever, en moyenne sur 2010, à 3,7 %.
Cette attractivité des produits d’épargne par le biais d’une meilleure rémunération ne devrait pas diminuer puisque le taux du livret A a augmenté à 2,25% au 1er août.
Par ailleurs, un second facteur a joué sur le ralentissement de la collecte, il s’agit du débat actuel autour de la fiscalité de l’épargne. Depuis le début de l’année, des échos se sont fait entendre sur un éventuel durcissement de la fiscalité pour les produits d’assurance vie. Les tergiversations et le manque de visibilité ont conduit les épargnants à hésiter, à attendre et à différer. La relance de ce débat récemment, avec l’idée que le gouvernement pourrait davantage puiser dans les niches fiscales pour combler le déficit du pays, n’a pas aidé.
Que pensez-vous de l’amendement adopté par la commission mixte parlementaire fin juin pour créer un nouveau taux applicable aux contrats d’assurance décès d’un montant supérieur à 903 000 euros ?
Sur le court terme, je ne pense pas que cette réforme ait eu un effet sur la collecte du premier semestre mais à long terme, elle aura nécessairement un impact négatif, comme toute réforme durcissant la fiscalité de l’assurance vie. Dès lors que l’on vient à changer les règles du jeu en cours de route, cela inquiète.
**Pour certains observateurs la crainte liée à l’exposition des compagnies d’assurances et des produits eux même à la dette des pays périphériques aurait également dissuadé les épargnants à s’orienter vers les contrats d’assurance vie. Qu’en pensez-vous ? **
Vous ne pensez pas que l’ombre de la crise a pesé sur les comportements ?
Si tel était le cas, les épargnants ne se seraient pas non plus dirigés vers les produits bancaires. Le risque d’exposition aux dettes souveraines des pays périphériques est à la fois supporté par les banques et par les assureurs. Il n’y a pas d’inquiétude particulière à avoir sur l’exposition des contrats d’assurances aux dettes souveraines. Les compagnies d’assurances ont une exposition minimale et ont des arguments pour compenser d’éventuelles pertes. Je ne pense pas que le grand public ait pu être influencé par cette exposition.
Croyez-vous que les doutes liées aux contraintes réglementaires ont joué un rôle ?
Dans l’esprit des clients d’assurances aujourd’hui, je doute fort que ceux qui se posent des questions sur Solvency II au moment de leurs versements représentent une part importante des souscripteurs.
Certes mais l’assurance vie répond à une logique de produit de long terme tandis que les produits d’épargne sont plutôt des produits de court terme ?
Les engagements ne sont pas plus contraignants pour les contrats d’assurance vie que pour les produits d’épargne à court terme. Il est possible de résilier un contrat d’assurance assez facilement aujourd’hui. Il n’y a plus de contrats d’assurance vie qui soient assortis de conditions de versements ou de durée. Les contrats qui prévoyaient des pénalités en cas de sorties anticipées n’existent quasiment plus aujourd’hui. Dans les contrats reposant sur des supports en euros (essentiellement en obligations), les épargnants ne peuvent pas être pénalisés sur leur capital. Ils ne peuvent qu’être éventuellement taxés sur les intérêts perçus en fonction de la durée.
Le seul engagement qui existe se situe du coté de l’assureur qui s’engage à verser à l’assuré les sommes prévues en cas de rachat ou en cas de décès.
De quelle manière envisagez-vous le second semestre de l’année ?
Je suis plutôt optimiste même si nous n’aurons pas un inversement de tendance car il existera toujours une concurrence des produits bancaires et les interrogations liées à la fiscalité. Nous tablons sur une évolution de la collecte brute comprise entre -6 et -2% à la fin de l’année. Ce chiffre ne signifie pas forcément une amélioration de la situation mais tient compte d’un effet de base. L’année dernière, le deuxième semestre 2010 n’avait pas été très performant. Dès lors que l’on fait référence à une période moins favorable, on peut penser que le deuxième semestre sera meilleur en termes d’évolution que le premier.
Vous n’envisagez pas pour autant de décollecte d’ici la fin de l’année?
Nous ne sommes pas à l’abri de ce phénomène si le débat sur la fiscalité devait se durcir. Cela étant, je tiens à rappeler que l’assurance vie a d’autres objectifs que le placement. La prévoyance pour ses proches ou en vue de sa retraite reste l’objectif numéro 1 des assurés. Dans la collecte annuelle, la moitié des versements sont effectués à partir de prélèvements automatiques. L’assurance vie restera en fin d’année le premier placement des ménages français.
Quel arbitrage entre unités de compte et fonds en euros ?
Les unités de compte, qui représentent aujourd’hui 15 % de la collecte progressent plus vite que les fonds euros. Ils sont stables au premier semestre malgré les turbulences observées sur les marchés boursiers. La baisse de la collecte observée au cours du premier semestre est uniquement due aux fonds en euros pour les raisons vues précédemment.
Propos recueillis par Imen Hazgui