Assurance vie : les 3 rappels à l’ordre des juges suprêmes
LE CERCLE. Les parlementaires sont-ils conscients des dégâts qu’ils causent dans la confiance des épargnants ? Au gré des humeurs des administrations et de l’aggravation des déficits publics, ils changent les règles constamment. Ce qui rend le sort de l’épargne imprévisible et illisible. Deux décisions du Conseil constitutionnel et une du Conseil d’État rappellent qu’on est dans un État de droit !
ÉCRIT PAR
JdE (echos)
J. Errard
journaliste
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Tous les ans, le remue-ménage recommence : réforme des plus-values immobilières, réforme des plus-values boursières, réforme de l’assurance vie… Le summum semblait atteint cet été, en plein mois d’août, lorsque le ministère des Finances a publié une circulaire pour changer la loi sur la fiscalité des plus-values immobilières, à charge pour le parlement de valider cette modification quatre mois après, ce qui fut fait le 19 décembre. Une circulaire qui réforme une loi !
Cerise sur le gâteau, la nouvelle taxation des plus-values a été modifiée pour l’impôt sur le revenu (exonération après 22 ans), mais pas au regard des prélèvements sociaux (exonération après 30 ans). Bref, on voit que l’administration mène la danse et prend le parlement pour un composteur de circulaires. Mais coup sur coup, trois décisions de nos juges suprêmes rappellent que les administrations et les parlementaires ne peuvent pas faire n’importe quoi !
Tout d’abord un rappel. Autrefois, l’assurance vie était un placement rentable et exonéré d’impôt totalement (jusqu’en 1983), puis après 6 ans (jusqu’en 1989), puis après 8 ans. Le succès grandissant, en fin de chaque année, le législateur accablé par les déficits publics part à la chasse de la poule aux œufs d’or. Exit l’exonération d’impôt après 8 ans (7,5 % d’impôt au-delà d’un abattement plafonné à 9 200 euros), exit l’exonération totale de droits de succession, rognée encore cette année.
Et en 1997, la faillite de la Sécu a commencé à faire venir de nouveaux chasseurs, qui ont expliqué qu’il ne peut y avoir d’exonération ni d’abattement pour les cotisations sociales. La dérive a commencé. Aujourd’hui, pour les assurances vie en euros, le niveau de prélèvements sociaux est celui applicable en fin d’année lorsque l’assureur verse les intérêts acquis. Traduction : au fil des années, la taxation va être progressive par paliers de hausses successives des prélèvements.
Par contre, pour les assurances vie investies en unités de valeur (SICAV ou SCPI), la taxation est celle en vigueur au dénouement (retrait ou décès). Traduction : vous subissez la taxe du moment sur toute la plus-value, quelle que soit la durée de l’épargne. Si les actuels 15,50 % de taxes sociales, autrefois de 0,50 % en 1996, deviennent 30 % demain du fait de l’effondrement constant des comptes de la Sécu, l’épargnant supportera 30 % sur la plus-value sans tenir compte de l’ancienneté de l’assurance vie ! Mais jusqu’où peut-on aller ?
Première décision, celle du Conseil constitutionnel, du 19 décembre
Une énième loi de financement de la Sécu dans son article 8 impose l’application des prélèvements sociaux au taux en vigueur lors du dénouement de l’assurance vie, donc actuellement à 15,50 %. Première question adressée par des parlementaires aux juges constitutionnels : la loi peut-elle traiter différemment l’assurance vie et les autres placements tels que les plans d’épargne en actions (PEA), les plans et comptes d’épargne logement (PEL et CEL) et les plans d’épargne salariale ?
Sur cette question d’inégalité devant l’impôt, les juges constitutionnels balayent l’argument en invoquant la spécificité de l’assurance vie ; selon eux la loi « traite différemment au regard des prélèvements sociaux des gains provenant de produits de placement aux caractéristiques et à l’objet différents » (ce qui respecte la jurisprudence de la Cour de cassation qui ne considère pas l’assurance vie comme un placement, mais comme une assurance liée à un aléa sur le bénéficiaire du capital).
Deuxième question, celle de la rétroactivité. Là on nous explique que c’est la date de dénouement de l’assurance vie qui compte (date de retrait ou de décès). Tant que l’épargne est en cours, le législateur peut changer le niveau de prélèvements, il n’existe pas d’acquis. Voilà ce que dit le Conseil constitutionnel (décision n°2013-682 DC). Cette décision est cependant étrange puisque les juges suprêmes déclarent dans le même temps que le législateur « ne saurait, sans motif d’intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations ». C’était pourtant le cas, non ?
Mais les juges estiment que le parlement ne doit pas « pousser le bouchon trop loin » : pas de taxe rétroactive pour l’épargne versée avant le 26 septembre 1997, à une époque où l’on pouvait « légitimement attendre l’application d’un régime particulier d’imposition ». Les gains réalisés au cours des 8 premières années suivant la souscription de l’assurance vie avant cette date restent soumis aux paliers des taux applicables à l’époque.
Une deuxième décision, celle du Conseil d’État du 20 décembre
Cet arrêt a été rendu le lendemain, le 20 décembre. Les juges administratifs annulent pour excès de pouvoir une circulaire (§180 et 200) qui tout bonnement avait modifié une loi ! En l’occurrence, juste avant la déclaration d’ISF, le fisc décide dans une instruction du 14 juin 2013 que les intérêts annuels des assurances vie en euros doivent entrer dans l’appréciation des revenus pour calculer le plafonnement de l’ISF à 75 % des revenus (article 885 V bis du code général des impôts). Cette modification ne pouvait pas être décidée par l’administration.
Les mêmes juges l’avaient déjà dit dans un arrêt du 13 janvier 2010, n°321416 ! Ils avaient là aussi annulé les dispositions d’une circulaire (13 A-1-08) qui en toute illégalité incluaient dans les revenus de l’année les intérêts des fonds en euros des contrats multisupports. Bis repetita, le fisc soutenait dans cette nouvelle affaire qu’il avait « interprété » la loi (1). Les juges rétorquent que cette décision est « entachée d’incompétence » (une leçon de droit pour l’administration !). Entre-temps, bien des contribuables concernés ont dû appliquer cette « loi » écrite à Bercy. Comme d’habitude, le parlement est venu composter la circulaire quelques mois après avec la loi de finances pour 2014 votée le 19 décembre.
N’est-il pas troublant que l’administration fasse passer des considérations de recettes avant le respect de la hiérarchie des normes juridiques ? C’est cette loi, article 13, qui a été soumise aux juges constitutionnels.
Troisième décision, rendue par le Conseil constitutionnel le 29 décembre
Déjà l’année dernière, la loi de finances pour 2013 avait inventé cette règle selon laquelle même les revenus et plus-values virtuels doivent entrer en compte pour le calcul du plafonnement d’ISF. Le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2012-662 du 29 décembre 2012 l’avait annulé. Cela dit, bien des avocats fiscalistes avaient conseillé judicieusement à leurs clients de planquer un maximum de patrimoine dans des instruments de capitalisation (assurance vie, trust, société commerciale…) pour faire baisser leurs revenus et provoquer le plafonnement de l’ISF.
Mais il n’est pas encore interdit d’être malin, laisse entendre le Conseil constitutionnel selon lequel les « facultés contributives » « correspondent à des bénéfices ou revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé au cours de la même année ». Pourtant l’administration fiscale est revenue à la charge, et cela juste avant le weekend de déclaration d’ISF 2013 !
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2013−685 DC du 29 décembre 2013, a réagi vertement : « le législateur a méconnu l’autorité qui s’attache, en vertu de l’article 62 de la Constitution, à la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012 ». Traduction : « on vous a déjà dit que votre circulaire est illégale, vous êtes sourd ? » Encore une leçon de droit ! Le fisc va devoir rembourser les centaines de millions d’euros réclamés illégalement.
Ces coups de boutoir répétés contre l’assurance vie sont inquiétants. Récemment, le rapporteur général à la commission des finances de l’Assemblée nationale déclarait que cette manne de 1600 milliards d’assurances vie correspond presque à la dette de l’État (1900 milliards). Suivez son regard… Rappelons qu’une autre juridiction suprême, la Cour des comptes, a aussi émis un point de vue sur le sujet de l’assurance vie en janvier 2012. Dans son rapport, elle lance un avertissement si le gouvernement persiste à vouloir déstabiliser l’assurance vie pour résoudre ces problèmes financiers : "Les risques de déstabilisation de cette masse financière à travers un mouvement de décollecte ou de dénouements anticipés doivent être pris en compte.
Un tel mouvement peut être amplifié par la forte concentration des encours sur un nombre réduit d’épargnants considérés par la profession comme particulièrement sensibles à l’évolution des paramètres fiscaux"… « L’ensemble des professionnels s’accorde sur la dimension systémique que le volume des encours a donnée à l’assurance-vie ».
(1) JO Ass Nat, 29/10/2013, RM n° 31709 : le ministre du Budget estime que la loi permet de soumettre aux prélèvements sociaux les contrats d’assurance vie en euros et les supports euros des multi-supports « au fil de l’eau », c’est-à-dire en l’absence de dénouement ou de rachat du contrat, et cela en application de l’article 22 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011. Il en déduit que l’administration pouvait prendre en compte ces revenus pour le calcul du plafonnement de l’ISF.