Amérique latine – Grandeur et décadence des régimes économiques populistes
17 février, 2017
Dans la dernière édition de Global Macro Shifts, l’équipe Templeton Global Macro analyse l’échec des gouvernements populistes en Amérique latine et les enseignements importants que peuvent en tirer les pays développés. Michael Hasenstab propose ici un résumé de l’analyse complète de son équipe.
Michael Hasenstab, Ph.D.
Vice-président exécutif, gérant de portefeuille
Directeur des investissements
Templeton Global Macro
Depuis quelques années, les idées populistes ont le vent en poupe dans de nombreux pays du monde. Si les définitions du populisme varient en fonction des personnes, pour notre part ce terme désigne les politiques promettant des solutions rapides aux problèmes, souvent de nature économique, mais sans les contraintes douloureuses qui accompagnent généralement les traitements plus classiques. Ces derniers consistent globalement à réduire les déséquilibres macroéconomiques au moyen d’outils qui sont notamment des politiques budgétaires et monétaires prudentes, la libéralisation du commerce, la déréglementation et l’ouverture vers l’intégration économique mondiale.
Au lendemain des nombreuses crises qui ont jalonné ces dix dernières années, ces remèdes traditionnels sont de plus en plus considérés comme passés de mode, et tout particulièrement dans certains pays développés. C’est dans cet état d’esprit que la majorité des électeurs britanniques se sont prononcés en faveur du Brexit, c’est-à-dire la sortie de l’Union européenne (UE) en vue de limiter l’immigration et de restaurer la souveraineté nationale en ce qui concerne le contrôle des politiques et des réglementations. Dans plusieurs autres pays d’Europe, les partis populistes et nationalistes trouvent de plus en plus d’échos favorables, ce qui crée des incertitudes quant à l’issue des élections prévues en 2017.
La campagne des présidentielles américaines a fait entendre des idées populistes particulièrement vivaces à la fois dans le camp républicain et démocrate, appelant au repli sur soi et à l’interventionnisme économique ainsi qu’à une approche isolationniste avec des propositions comme la fixation de droits de douane élevés, l’annulation ou la renégociation des traités commerciaux et des initiatives pour réduire l’immigration. En critiquant vivement l’ALÉNA et les flux migratoires en provenance du Mexique, les États-Unis ont exprimé la volonté de réduire leur ouverture vis-à-vis de l’Amérique latine. Pourtant, des mesures en ce sens seraient très dommageables à l’économie américaine en plus d’être assez paradoxales, puisqu’elles surviendraient au moment où les pays latino-américains empruntent précisément le chemin inverse et reviennent sur leurs politiques populistes pour privilégier le libre-échange et des réformes favorables aux entreprises.
Nous avons analysé l’expérience qu’ont vécue les pays d’Amérique latine depuis quelques années, en retenant trois États qui avaient choisi d’adopter une politique économique populiste : l’Argentine, le Brésil et le Venezuela. Le Brésil et le Venezuela sont en train de faire marche arrière, ce qui n’est pas le cas de l’Argentine. Il nous semble que pour tout élu tenté de succomber au chant des sirènes populistes, la comparaison de ces expériences est riche d’enseignements.
Bien sûr, les fondamentaux et les institutions des économies développées sont bien plus solides que ceux des pays sur lesquels porte notre analyse, mais nous pensons que les conséquences de politiques malavisées seraient assez identiques. Notre analyse peut donc apporter un éclairage précieux, en particulier dans les périodes comme aujourd’hui, où la tentation est grande, pour certains, de céder à l’appel du protectionnisme. De plus, nous mettons en avant des opportunités d’investissement attrayantes en Argentine et au Brésil, et plus généralement dans les pays dotés de régimes économiques solides et orthodoxes.
Les sirènes du populisme
L’illustration 1 représente les expériences de quatre pays d’Amérique latine, dont trois sont tombés dans le piège du populisme (l’Argentine, le Brésil et le Venezuela) mais pas le quatrième (la Colombie). Tous ces pays ont été affectés dans des proportions variables par la fin du supercycle des matières premières, qui a mis à l’épreuve la viabilité de leurs cadres politiques, et ceux qui avaient choisi la voie du populisme ont été pris en défaut. Le genre de mesures prises par les gouvernements les plus interventionnistes est donné à titre d’exemple dans l’illustration 1.Slide1
Les dégâts
Dans les trois pays ayant adopté des mesures populistes, celles-ci ont eu des conséquences très défavorables : l’inflation s’est envolée, le système économique a connu d’importantes distorsions, la croissance de la productivité a baissé, la manipulation des devises dans un environnement d’inflation élevée a entraîné une forte hausse du taux de change réel (ce qui a pesé sur la compétitivité), et dans certains cas, la dette publique s’est rapidement accrue.
En Argentine et au Brésil, ces dégâts commencent à être réparés ; mais l’expérience du Venezuela, qui persiste sur la voie du protectionnisme, parle d’elle-même. L’illustration 2 présente un aperçu des répercussions négatives du populisme dans ces pays, et l’on voit bien que la Colombie sort du lot grâce au maintien de politiques prudentes.Slide2
Marche arrière
En Argentine, la dégradation prolongée des conditions économiques a fini par chasser Cristina Kirchner du pouvoir au profit de Mauricio Macri en novembre 2015. Le nouveau Président argentin a été élu sur la promesse d’une grande libéralisation du système économique. Rapidement, le nouveau gouvernement a lancé toute une série de réformes, allant du renforcement du rôle des institutions au durcissement de la politique monétaire en passant par la consolidation budgétaire, la normalisation de la politique de change et la régularisation des relations internationales. Ces initiatives vastes et profondes marquent un net changement de cap et adressent un signal fort aux investisseurs internationaux : celui d’un gouvernement très impliqué dans la restauration de la trajectoire économique. À nos yeux, cette volonté de relever immédiatement les défis les plus durs a été le pilier central de la crédibilité de la nouvelle équipe au pouvoir.
Au Brésil, le virage politique a été amorcé sous l’ancienne Présidente, Dilma Rousseff, forcée par l’effondrement de sa cote de popularité et les difficultés du pays pour accéder aux financements extérieurs. Le nouveau gouvernement brésilien, sous la direction de Michel Temer, a lancé les premières étapes de la consolidation budgétaire avec l’abaissement du plafond des dépenses publiques et la préparation d’une réforme de la sécurité sociale. Les autorités ont aussi commencé à réduire l’interventionnisme afin d’atténuer les distorsions économiques, en commençant par déréglementer les prix administrés en 2015. Cette même année, l’inflation en hausse et la récession économique ont compliqué la tâche de la banque centrale ; après avoir maintenu un taux d’intérêt réel stable jusqu’à mi-2015, elle l’a laissé grimper (tout en commençant à réduire les taux nominaux) pour parvenir à baisser l’inflation en 2016. Autre aspect de cette nouvelle politique monétaire prudente : l’expansion du crédit lancée sous le gouvernement précédent a été interrompue.
En Colombie, bien que les politiques ne se soient pas réellement dégradées, le gouvernement a quand même pris des mesures pour réduire l’inflation liée à la dépréciation du peso. La politique monétaire a été durcie, des mesures ont été prises pour consolider les comptes publics et pouvoir parer les effets potentiels de la baisse des recettes liées à la chute des cours pétroliers, et enfin, des négociations ont été menées avec les Forces armées révolutionnaires – Armée du Peuple (FARC-AP) pour mettre un terme au conflit de longue date avec ce groupe de guérilla, ce qui a contribué à renforcer et sécuriser les institutions démocratiques du pays.
À l’heure où nous écrivons, les politiques populistes battent toujours leur plein au Venezuela. La population vit aujourd’hui dans des conditions très difficiles, avec un taux de chômage élevé et un accès restreint aux produits alimentaires et à d’autres ressources essentielles. Cette situation a suscité des mouvements de protestation et accru le risque d’instabilité sociale, mais n’a pas encore entraîné de changement du régime politique, ni même un ajustement. L’illustration 3 présente un résumé des ajustements mis en place (ou non) par chaque pays couvert par notre étude.Slide3
Perspectives des dix prochaines années
Le régime politique de la Colombie semble être l’exact inverse de celui du Venezuela et se caractérise par un rejet ferme du populisme. Il faut souligner que grâce au maintien de politiques macroéconomiques prudentes, la Colombie n’a souffert que de la hausse de l’inflation liée à la dépréciation de sa devise, offrant un contraste saisissant avec l’économie vénézuélienne.
En Argentine et au Brésil, même si l’ajustement des politiques vient tout juste de commencer, les espoirs sont permis. Il faudra bien sûr maintenir la dynamique pendant les prochaines années, mais dans ces deux pays, l’élément le plus important (l’engagement des élus) est bel et bien en place. Par conséquent, les bénéfices devraient être substantiels à condition que les nouvelles politiques soient maintenues.
À l’inverse, difficile d’être optimiste en ce qui concerne les perspectives du Venezuela. D’un côté, le pays a plus de réserves de pétrole que l’Arabie saoudite, et de l’autre, son économie est celle qui se contracte le plus vite au monde ; l’inflation se rapproche des 1 000 %[1] et les pénuries de produits alimentaires et de médicaments sont en train de précipiter une crise humanitaire. La situation peut encore difficilement s’aggraver.
Selon nous, ces exemples pris en Amérique latine sont riches en enseignements pour les pays développés. Nous ne sommes pas en train de dire que les États-Unis ou les pays d’Europe qui flirtent avec le populisme vont subir les sorts extrêmes décrits dans notre analyse complète ; néanmoins, ces exemples sont autant d’avertissements à une époque où le rejet des régimes économiques orthodoxes est de plus en plus palpable.