Affaire Orpea les épargnants doivent eux aussi assumer leur responsabilités

Affaire Orpea : les épargnants doivent eux aussi assumer leurs responsabilités

Henry Buzy-Cazaux, le président fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, revient sur l’affaire qui secoue le secteur des Ehpad, après la publication du livre “Les Fossoyeurs”. Selon notre chroniqueur, les épargnants particuliers ont, eux aussi, une part de responsabilité à assumer.
Publié le 07/02/2022 à 11h02 & mis à jour le 07/02/2022 à 15h27
Comment nier que l’argent compte dans notre monde plus qu’il a jamais compté ? Il est à l’origine du meilleur s’il est bien utilisé et il mène au pire quand il occulte l’essentiel ou quand il corrompt. Pourtant, rares sont désormais les observateurs du cours de l’économie et des aventures des entreprises nationales et internationales qui s’en méfient. Nous sommes collectivement devenus acquis au libéralisme. Certains, prévenus par idéologie - au sens d’un corps de conviction et d’un système de pensée - contre les dangers de l’argent, restent sur leur garde, mais au fond, ils entrent dans le trafic, malgré eux. Se méfient-ils par exemple au moment d’investir leur épargne ? Redoutent-ils que leurs économies servent à des fins sordides ? Certes, ils peuvent vouloir, comme une part de plus en plus importante des ménages, que leur argent soit employé à de nobles causes, telles la sauvegarde de la planète ou la générosité, mais ils ne sont pas tellement méfiants qu’ils craignent d’investir.

Ce qui se passe avec Orpea est une remise en cause profonde des modalités d’investissement des particuliers et étrangement personne ne le dit. Sans doute parce que c’est une sorte de bombe à retardement. Ce leader européen des résidences médicalisées pour personnes âgées, les Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), aurait favorisé ou admis la maltraitance de ses pensionnaires pour cause de moyens insuffisants, ces pratiques ayant pour cause l’âpreté au gain et le refus de recourir à des personnels en nombre et en compétences suffisants. Le gouvernement s’est saisi de ce qui est une affaire d’État et le Parlement s’émeut déjà. Oui, parce que derrière ces résidences services pas comme les autres, qui s’occupent plus qu’elles ne les hébergent de personnes faibles, malades, en fin de vie, il y a le contrôle présumé de l’administration de la santé et en outre des financements pour partie publics des soins dispensés ou censés l’être. On a immédiatement parlé de la réaction des actionnaires : certains sont sortis, d’autres y songent. Le cours de Bourse a chuté à la révélation du scandale. Quant au directeur général du groupe, il a été limogé… après avoir cédé des actions de son entreprise qu’il détenait, exerçant une plus-value considérable, curieusement juste avant la publication du livre qui a porté sur la place publique les prétendues turpitudes de son enseigne.

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Le plus gros risque est pourtant ailleurs : dans le dégoût qu’auront les investisseurs, qui achètent une chambre de ces résidences et se retrouvent liés par un bail commercial à une société de gestion, responsable du versement des loyers auprès d’eux. Depuis des années, des milliers de Français choisissent cette classe d’actifs, certes, les résidences avec services, mais au-delà le caractère d’utilité sociale de ces produits. Apprendre que pour satisfaire l’appétit de profit des actionnaires et le besoin de séduire les particuliers avec des promesses de rendement élevées, entre 5% et 9%, on a attenté à la dignité des personnes âgées va les révolter. Jusqu’alors, les investissements éthiques étaient recherchés, sans que le label ISR (investissement socialement responsable) récemment créé, ne soit un critère majeur. Il va acquérir ce statut, sans nul doute, plus vite que prévu, mais en-deçà même de cette exigence, l’accomplissement de la mission sous-jacente, loger et apporter le service contractuel dans le respect de l’humanité, sera vérifié. Les Français ne confieront plus jamais leur argent sans regarder de près quel usage en est fait et comment. On est bien au-delà de la préférence accordée à l’éthique : les Ehpad doivent faire leur métier avec conscience. Ce n’est pas de la responsabilité éthique, grands mots, c’est de l’honnêteté, de l’intégrité, du sérieux. L’inverse, c’est de la fumisterie, du banditisme organisé.

Les labels et les surenchères ont cela de pervers qu’ils font oublier l’essentiel, faire son métier. Loger les étudiants, ou les touristes, ou les personnes dépendantes, ou les cadres en mobilité, même combat. On a fini par l’oublier. Toutes ces missions, heureuses, auxquelles des ménages peuvent participer avec leur argent, sont légitimement lucratives, mais il faut savoir s’arrêter dans l’aspiration à gagner de l’argent. Là, d’évidence, certains n’ont pas su et ont fait souffrir des êtres démunis. La dictature du TRI (taux de rendement interne) de 15%, ou de 20%, doit cesser. L’argent a bel et bien une odeur. Qui peut être celle de la sueur du travail et de l’engagement, méritant toutes les rémunérations et tous les dividendes, ou cette sorte de suavité sédative, dont il faut se méfier.