Acheter une voiture électrique, une fausse bonne affaire?

Acheter une voiture électrique, une fausse bonne affaire ?

Par Richard Flurin

LE + ÉCO - Développée à marche forcée en Europe, la voiture électrique n’est pas plébiscitée par les Français, en particulier pour son prix. Le Figaro a enquêté sur son véritable coût.


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Amis automobilistes, vous avez encore le choix, mais plus pour très longtemps. Dans douze ans maintenant, les constructeurs ne seront plus autorisés à vendre de véhicules thermiques neufs sur le Vieux Continent. Le Parlement européen a acté cette interdiction il y a un an pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, et malgré les réserves de l’Allemagne, le projet devrait bien aboutir dans le temps imparti. L’enjeu est immense, tant sur le plan industriel que politique. Outre la conversion des chaînes de valeur et l’installation d’une infrastructure ad hoc, il reste également à convaincre les Européens, dans la décennie qui vient, de la pertinence de la mobilité électrique.
Une enquête de l’IFOP révélait encore récemment que seuls 27% des Français comptent acheter un véhicule de ce type dans les prochaines années. Ils étaient 49% en 2010 selon la même source. Cette perte d’engouement s’explique, selon les sondeurs, par trois raisons qui ne surprendront personne : un coût d’achat et de fonctionnement trop élevé, une autonomie toujours jugée insuffisante et le manque de bornes de recharge qui complique la vie des automobilistes. Sondage après sondage, les mêmes motifs sont invoqués, à commencer par le coût. Au-delà de toute considération écologique, les Français ont-ils raison de croire que le véhicule électrique coûte beaucoup plus cher que son équivalent thermique ? Le Figaro a mené l’enquête.

Un coût qui baisse «en flèche»

Il suffit de consulter le catalogue des constructeurs pour se rendre compte qu’une voiture électrique s’achète plus cher qu’une voiture thermique. Prenez la Peugeot e208 par exemple, un modèle très plébiscité sur le marché de l’électrique. Vous ne la trouverez pas en dessous des 35.000 euros chez votre concessionnaire, alors que le prix de départ descend à 19.000 euros pour la Peugeot 208 – la même voiture mais équipée d’un bon vieux moteur à pistons. «L’électrique coûte à peu près 20% plus cher que le thermique aujourd’hui, mais c’était 30% l’année dernière et je parie que ce sera à peine 10% dans très peu de temps», explique Olivier Hanoulle, spécialiste du marché automobile au sein du cabinet de conseil Roland Berger.
Le président-directeur général de Stellantis, Carlos Tavares, justifiait récemment cette descente «en flèche» des tarifs de l’électrique par une égalisation progressive des «structures de coût» liée à «la hausse des volumes» de production. «À plus long terme, les véhicules électriques devraient même coûter moins cher que les véhicules thermiques en raison de la baisse de la production», présage Olivier Hanoulle.

Si l’électrique reste aujourd’hui plus cher à l’achat que le thermique, les coûts associés à la détention d’un véhicule, à commencer par l’énergie, rentabilisent rapidement ce surcoût au départ. Une étude menée par le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), qui regroupe 43 associations de consommateurs européennes dont l’UFC-Que choisir, conclut que, dès aujourd’hui, «l’électrique s’avère être le mode de propulsion le plus rentable pour une voiture de taille moyenne ou petite», soit les citadines (Renault Zoé, Peugeot e208), les monospaces compacts (Peugeot e308, Renault Mégane IV) et les berlines familiales (Tesla Model 3). Ce constat ne se vérifie en revanche pas dans le cas des SUV ou des grandes berlines électriques (Peugeot e2008, Renault Captur électrique, Hyundai Kona Electric). Le constat s’applique à plus forte raison aux «gros rouleurs».

Deuxième et troisième main

Le travail du BEUC prend en compte l’ensemble des postes de dépenses nécessaires à l’utilisation d’un véhicule : le prix à l’achat, bien sûr, et son amortissement à la revente, les bonus et malus fiscaux, les coûts liés à l’énergie, à l’entretien et aux assurances. Toutes ces dépenses mises bout à bout, un véhicule électrique de taille moyenne, acheté en 2020 et utilisé pendant 16 ans, vous coûtera en tout et pour tout 64.600 euros, beaucoup moins que le budget de 84.700 euros calculé pour une voiture essence et de 76.400 euros pour une voiture diesel.
Mais la rentabilisation s’observe bien avant 16 ans d’utilisation. L’acheteur d’une voiture électrique neuve, qui roule 16.500 kilomètres par an puis la revend au bout de quatre ans, aura déboursé au total – c’est-à-dire après amortissement à la revente – un peu moins de 30.000 euros (7275 euros par an). Avec un véhicule diesel, le même conducteur aurait dépensé 34.600 euros (8650 euros par an) et 33.800 euros s’il était propriétaire d’un véhicule hybride non rechargeable (8450 euros par an). Les économies globales sont encore plus importantes si le véhicule électrique est acheté en deuxième ou troisième main, comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous.

Forte exposition aux marchés mondiaux

Clément Molizon, le délégué général d’Avere-France, qui représente les professionnels de la mobilité électrique, soutient que la rentabilité d’une voiture électrique s’apprécie «dès trois ou quatre ans d’utilisation». Mais attention, la production de ce type de véhicule est beaucoup plus exposée aux cours des matières premières. «Après dix ans de baisse exponentielle du prix des batteries, il a augmenté ces deux dernières années», confie Clément Molizon, avant de préciser que «les experts envisagent un retour à la normale en 2024 ou 2025». C’est la conséquence directe d’une hausse du coût du nickel, et surtout du lithium : deux matériaux indispensables à la fabrication des batteries. L’explosion de la demande dans un contexte de développement massif de la mobilité électrique tire les prix à la hausse. Pour se prémunir des soubresauts des marchés mondiaux, les pays européens lancent sur leur propre territoire des projets d’extraction de lithium, notamment dans l’Allier, en France, et des usines de production de batteries.

La mobilité électrique est également exposée au marché de l’électricité, où les prix peuvent là aussi s’envoler au gré de la conjoncture. L’actualité nous l’a encore récemment prouvé : de 50 euros par MWh début 2021, le prix de gros est passé à 222 euros par MWh en décembre 2021 et jusqu’à 700 euros par MWh au cours de l’été 2022. «Même si les prix se sont calmés, ils restent élevés», indique Clément Molizon. Le bouclier tarifaire – prolongé ce vendredi jusqu’à fin 2025 – protège les automobilistes convertis à l’électrique des variations de prix, à condition qu’ils puissent recharger leur véhicule à domicile. «Si vous rechargez la batterie chez vous, vous économiserez 70% du prix des carburants pour un trajet équivalent», indique Olivier Hanoulle. Sans compter que la fiscalité sur les carburants est encore amenée à augmenter. La mise en place d’une taxe carbone européenne, votée le 18 avril par le Parlement européen, pourrait à elle seule faire bondir le coût du litre d’essence et de diesel de 25% dès son entrée en application en 2027.

Bientôt de nouvelles taxes sur l’électricité ?

Les avantages économiques de l’électrique ne se résument pas à l’énergie. Les aides publiques à l’achat rognent l’investissement de départ : l’acheteur peut toucher jusqu’à 7000 euros de bonus écologique et 6000 euros de prime à la conversion selon ses revenus. Le gouvernement table également sur un «leasing social» qui doit permettre de rouler en électrique pour 100 euros par mois dès l’automne prochain. L’entretien des véhicules électriques est en outre moins onéreux : leur motorisation comporte moins de 50 pièces, alors qu’un moteur thermique basique en contient plus de 250. Quant à la durée de vie des batteries, elle est désormais à peu près équivalente à la durée de vie du véhicule et ne nécessite donc a priori pas de réinvestissement majeur.

L’assurance, un poste de dépense non négligeable pour les automobilistes, peut s’avérer un peu plus élevée pour les véhicules électriques. «C’est parce qu’elles sont plus chères et aussi moins réparables que les véhicules thermiques», indique Olivier Hanoulle. Les propriétaires de voiture électrique sont toutefois exonérés de la taxe spéciale sur les conventions d’assurances (TSCA) et bénéficie par conséquent d’une prime d’assurance dégrevée de 12%, selon le comparateur Assurland. L’exonération doit prendre fin le 31 décembre 2023 si le gouvernement ne décide pas de la proroger.

Un doute subsiste également sur la fiscalité de l’électricité à long terme. L’abandon progressif du thermique représente un manque à gagner considérable pour les caisses de l’État. La taxation des carburants a rapporté 41,5 milliards d’euros aux comptes publics en 2022. «C’est la quatrième source d’argent la plus importante pour l’État», précise Olivier Hanoulle, qui assure que ce pactole devra un jour ou l’autre être compensé. «L’État n’a aucun intérêt à perturber le développement de la mobilité électrique pour l’instant», martèle Clément Molizon. En 2020, l’Australie a annoncé une taxe kilométrique sur les voitures électriques : 1,5 centime d’euro à chaque kilomètre parcouru. Une potentielle inspiration.

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