Livret A, assurance-vie : sus aux épargnants!

Livret A, assurance-vie : sus aux épargnants !

Le mythique Livret A et l’assurance-vie se disputent le titre de « placement préféré des Français ». Or tous deux partagent désormais la même ingratitude vis-à-vis des épargnants qui leur ont accordé leur confiance : ils leur font perdre l’un et l’autre de l’argent !

Le premier collecte quelque 280 milliards d’euros et il offre un taux de rémunération d’à peine 0,5 %, trois fois moins que l’inflation (1,5 % selon l’Insee). Quant aux contrats d’assurance-vie, qui drainent 1 800 milliards d’euros, le rendement moyen des fonds en euros - à capital nominal garanti - aura été de 1,4 % en 2019. Compte tenu de la fiscalité, ces placements ont vu leur valeur réelle sensiblement rognée l’an dernier.

Les temps sont durs pour les bas de laine. De guerre lasse, nos compatriotes renoncent à placer leur argent, laissant grossir de mois en mois leurs comptes de dépôt non rémunérés. Au printemps 2019, les 62,9 millions de Français possédant un compte bancaire, y compris les enfants mineurs, disposaient chacun de 5 491 euros en moyenne, selon la Banque de France. Cet argent en déshérence n’intéresse personne. Surtout pas les banques qui doivent acquitter un taux d’intérêt de 0,5% (taux négatif) sur leurs propres excédents de trésorerie qu’il leur faut déposer à la BCE.

À titre de consolation, les épargnants français et européens peuvent se dire qu’ils ne sont pas les seuls à être maltraités. En Chine, le taux de rendement des placements obligataires à dix ans (l’équivalent de nos contrats d’assurance-vie) est tout juste au niveau de l’inflation (3 %). Le cas des Chinois est encore plus désespérant, fait remarquer l’économiste Patrick Artus, dans la mesure où la croissance économique de la Chine est quatre fois celle de la zone euro (respectivement 6 % et 1,3 % en 2020 selon les prévisions du FMI).

Il existe en effet « une règle d’or » entre la croissance économique d’un pays et la rémunération de ses épargnants, comme l’a expliqué le premier l’économiste français Maurice Allais (1911 -2010), prix Nobel d’économie 1988. C’est même une règle « éthique », selon Allais, que de rémunérer l’épargne juste au niveau de la croissance réelle de l’économie, car si le capital épargné rapportait plus que le taux de croissance, ce serait aux dépens du facteur travail, et vice versa. Il s’agit certes d’une norme théorique, mais dont la validité est infiniment plus rationnelle et plus respectable que les règlements administratifs fixant le taux du Livret A et qui ne cessent de changer.

Personne n’ignore bien sûr la raison originelle des mécomptes de l’épargne en France et dans la zone euro. Elle incombe à la Banque centrale européenne, à sa politique de taux d’intérêt zéro, voire négatifs, ainsi qu’à ses achats d’actifs financiers qui ont fait chuter les taux du marché obligataire. Christine Lagarde, qui a le cœur sur la main, nous a expliqué en prenant ses fonctions à la présidence de la BCE que cette dernière « a bien fait d’arbitrer en faveur de l’emploi, de la croissance, plutôt qu’en faveur de la protection des épargnants ». Cette vulgate de la science économique semble être le bon sens, si ce n’est qu’elle fait l’impasse sur les travers d’une politique monétaire qui alimente la spéculation boursière et immobilière, notamment à Paris, avec des effets sociaux désastreux.

Sus à l’épargnant : ne devrait-il pas prendre plus de risques en investissant dans les actions d’entreprise comme le lui susurre Bercy au nom de la « start-up nation » du nouveau monde macronien ? C’est totalement méconnaître la réalité des chiffres : au total, la capitalisation boursière des entreprises françaises de l’indice CAC 40 représente 1 802 milliards d’euros, alors que l’assurance-vie atteint 1 800 milliards, laquelle avait pour fonction initiale de financer la dette publique qui culmine à 2 415 milliards d’euros. En toute logique, les épargnants, dont l’État a grandement besoin, devraient être bien rémunérés, s’ils ne subissaient pas la concurrence déloyale de la BCE qui n’a qu’à faire tourner la planche à billets : celle-ci a ainsi acheté 425,2 milliards d’euros de titres français.

L’économiste John Maynard Keynes avait appelé de ses vœux « l’euthanasie du rentier et du capitaliste oisif », en faisant en sorte que le capital soit pléthorique et n’ait plus à être rémunéré. C’est le scénario que nous vivons. Mais au lieu de la démocratisation du capitalisme souhaitée par Keynes, on assiste au contraire à une montée inédite des inégalités aux dépens des épargnants de la classe moyenne qui se font plumer.

Le Figaro - mardi 28 janvier 2020

Analyse de J.P. Robin