La stagflation

Stagflation : ce que l’histoire nous apprendEn période d’inflation, les actifs réels, l’immobilier et les matières premières se sont plutôt bien comportés.
Jocelyn Jovène12.10.2021FacebookTwitterLinkedInFont-Size
fed powell

Dans quel régime d’inflation le monde va-t-il évoluer au cours des prochaines années ?

Alors que la pandémie de COVID-19 n’est toujours pas vaincue, les perspectives de reprise de l’économie mondiale semblent moins claires, avec des évolutions contrastées entre différentes régions du monde, souvent conséquences de l’évolution de la pandémie et du variant Delta.

Mais reprise économique il y a bien eu, à avoir les tensions sur l’offre qui s’exercent qui sur les matières premières, le transport maritime, voire peut-être bientôt les salaires, avec la baisse du chômage dans de nombreux pays développés.

Or ces tensions ont alimenté un mouvement inflationniste dont les investisseurs ont du mal à savoir s’il ne sera que passager ou plus durable.

Stagflation
Avec des indicateurs économiques moins dynamiques qu’au cours du premier semestre 2021, émerge la crainte d’une séquence moins réjouissante pour les marchés, celle de la « staglation ».

La stagflation, c’est la combinaison d’un niveau d’inflation élevé avec un taux de chômage élevé et une demande sous pression.

Même si les indicateurs économiques dans l’ensemble ne confirment pas un tel scénario à ce stade, les investisseurs semblent lui accorder du crédit.

Mais que nous enseigne l’histoire ? Et dans un tel contexte, quelles classes d’actifs tendent à mieux résister ?

Evolution de l’inflation aux Etats-Unis

CPI US

Source : Federal Reserve of St Louis, FRED, données au 11 octobre 2021

3 vagues d’inflation
Il faut de fait remonter assez « loin Â», aux annĂ©es 1960-1970, pour rencontrer un tel Ă©pisode.

Entre 1965 et 1968, après une période d’inflation stable et de taux plutôt bas après-second guerre mondiale, s’ouvre sur fond de conflit du Vietnam, de mouvement des droits civils aux Etats-Unis, de montée du syndicalisme, une période durant laquelle l’inflation et les taux courts prennent une trajectoire ascendante.

Une nouvelle phase inflationniste prend le relais entre 1969 et 1973, sur fond de fin du système de Bretton Woods, événement qui marque la fin de l’étalon-or pour le système financière international. Durant cette période, les matières premières et l’or progressent.

Une troisième vague d’inflation surgit en 1974 avec la premier choc pétrolier, auquel s’ajoutent la hausse des prix des produits alimentaires, des mouvements sociaux, la spirale prix-salaire, ainsi que des tensions budgétaires dans certains pays (soutien du FMI au Royaume-Uni en 1976).

Au cours de cette période, peu de classes d’actifs battent l’inflation.

Gagnants et perdants
Qu’en serait-il aujourd’hui ? Selon les stratégistes de Bank of America, les gagnants des épisodes passés de forte inflation furent l’immobilier, les actifs réels, les matières premières, la volatilité, les marchés émergents… A l’inverse, les obligations, le crédit, les actions ont connu des moments plus difficiles.

Il s’agit de considérations certes très générales, et chaque régime n’est pas complètement comparable au précédent.

Ainsi, la période actuelle, si elle voit durablement surgir l’inflation, intervient dans un contexte de globalisation, de taux historiquement bas, de dépenses budgétaires, de possible normalisation des politiques monétaires, de montée des inégalités et d’incertitudes liées au changement climatique.

Mais c’est aussi une période où le progrès technologique tend à s’accélérer, où les modes d’organisation des entreprises et les modes de consommation évoluent en profondeur.

De même, les niveaux de valorisation des différents actifs risqués et des bons du Trésor n’étaient pas les mêmes (le P/E de Schiller dans les années 1970 était de 12,7x environ contre 38x aujourd’hui ; le spread de crédit BBB était de 172 points de base contre 106 aujourd’hui).

Il est donc probable qu’à court terme, le regain de l’inflation amène à une remontée des taux, ce qui aurait plutôt tendance à favoriser les valeurs cycliques et les titres « value » (bancaires, énergie), au détriment des valeurs qualité/croissance (technologie, consommation courante, santé) qui ont plutôt profité des environnements de taux bas et de faible inflation.

L’ombre de la stagflation »

Avec l’inflation qui se propage dans le monde comme une traînée de poudre et la croissance économique qui commence à montrer des signes de faiblesse, rejaillit dans le débat une question oubliée depuis des dizaines d’années : faut-il craindre un retour de la « stagflation » et quelles seraient ses conséquences sur les marchés financiers ?

DĂ©finition de la stagflation

Contraction de stagnation économique et inflation, la stagflation est la situation d’une économie qui souffre d’une croissance économique faible ou nulle et d’une forte inflation. Apparue à la fin des années 60 au Royaume-Uni, elle se généralisa au cours des années 70 du fait des chocs pétroliers. Elle se caractérise également par un taux de chômage élevé.

Une inflation qui se répand et s’amplifie

Les gros titres des journaux sur les hausses des prix du gaz, des prix à la pompe ou encore de l’électricité sont révélateurs de la situation actuelle. Alors que toutes les banques centrales prédisent encore aujourd’hui une hausse des prix « temporaire », leurs prévisions sont sans cesse revues à la hausse. Ainsi, par exemple, bien qu’elle estime que l’inflation pourrait durer plus longtemps et être plus forte qu’anticipé précédemment, la Banque de France par la voix de deux de ses économistes, maintient que la hausse récente est de nature temporaire et devrait redescendre sous les 2% d’ici la fin de l’année prochaine.

Une croissance revue Ă  la baisse

Après le FMI récemment puis l’Allemagne, c’est au tour de la Chine de revoir sa croissance à la baisse. En avance dans le cycle économique par rapport aux autres pays, cette révision à la baisse est le témoin des goulots d’étranglement actuels dus aux pénuries de matières premières ou encore d’électricité. Elle est probablement un signe annonciateur de révisions futures.

Le coût de l’énergie

Sous l’effet de la transformation à marche forcée de nos sociétés, des énergies fossiles vers les énergies vertes, les géants de l’industrie pétrolière ont drastiquement revu à la baisse leurs investissements dans l’exploration et la production d’hydrocarbures, alors que le pic de la demande de pétrole n’est pas prévu avant 2030-2035. Cela surenchérit mécaniquement les prix de l’énergie.

Or, sans pétrole, et malgré les progrès remarquables des dernières années, il n’y a toujours pas de chaussures, de plastique, de machines-outils, de voitures, de marchandises… Nous nageons dans un monde de pétrole et notre niveau de vie à court terme dépend encore aujourd’hui de son volume, les prix n’étant la conséquence que de sa rareté ou de son abondance face à la demande. Si notre capacité d’extraction diminue en volume, il n’y a plus de croissance. Et tant que nous ne disposerons pas de solutions alternatives suffisamment efficaces et économes, il en demeurera ainsi.

La première conclusion est que toute projection de croissance doit se fonder sur la consommation énergétique humaine et donc sur les capacités d’extraction de cette énergie primaire. La croissance mondiale de la production d’énergie est très susceptible d’être plus faible dans les prochaines années. Elle pourrait même, à certaines périodes, stagner ou décliner. Le risque de stagflation n’est donc ni une vue de l’esprit, ni une question passagère.

Quelles conséquences pour les marchés financiers ?

Comme chacun le sait, en cas de hausse des taux d’intérêt, la valeur des obligations baisse. Historiquement, il en a toujours été de même pour les marchés actions. Par conséquent, les marchés financiers seront davantage impactés par la hausse de l’inflation que par l’inflation elle-même.

L’inflation que nous subissons actuellement ne va pas disparaître du jour au lendemain. Les investissements dans les énergies alternatives seront coûteux et la tentation sera grande pour les gouvernements de monétiser leurs financements, renforçant ainsi le risque inflationniste. Les épargnants doivent donc surveiller ce risque inflationniste pour arbitrer leurs investissements…