La fin de la mondialisation?

C’est la fin de la mondialisation" : l’avertissement du patron de BlackRock

Le PDG du groupe estime que l’isolement de la Russie obligera Ă  terme les entreprises et gouvernements Ă  « réévaluer leurs dĂ©pendances Â».

La guerre en Ukraine et les sanctions de plus en plus importantes contre la Russie vont-elles mettre fin Ă  la mondialisation ? Oui, selon le PDG de BlackRock, la sociĂ©tĂ© spĂ©cialisĂ©e dans la gestion d’actifs, qui gère d’ailleurs dix milliards de dollars. Dans une lettre envoyĂ©e aux actionnaires, Larry Fink estime que le « dĂ©couplage de la Russie de l’économie mondiale Â», après son invasion de l’Ukraine, oblige les gouvernements et les entreprises Ă  rĂ©examiner leur dĂ©pendance vis-Ă -vis des autres pays, rapporte CNN. « L’invasion russe de l’Ukraine a mis fin Ă  la mondialisation que nous avons connue au cours des trois dernières dĂ©cennies Â», Ă©crit notamment Larry Fink.

Le PDG de BlackRock estime aussi que ce nouvel ordre mondial va « inciter les entreprises et gouvernements du monde entier Ă  réévaluer leurs dĂ©pendances et Ă  rĂ©analyser leurs empreintes de fabrication et d’assemblage Â». Cependant, certains pays pourraient miser sur leur industrie locale, bien que la mondialisation ait dĂ©jĂ  enclenchĂ© le mouvement. Pour appuyer ses dires, Larry Fink rappelle que pendant la pandĂ©mie, les pays avaient du mal Ă  trouver certains Ă©quipements comme les masques fabriquĂ©s en Chine, alors qu’ils en avaient absolument besoin.

Les énergies renouvelables grandes gagnantes ?
Cependant, quand l’économie est repartie de plus belle, la demande a bondi, les goulots d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement ont contribué à faire grimper l’inflation à des niveaux jamais vus, rappelle CNN. Il cite en premier lieu les pénuries de puces, semi-conducteurs qui ont touché l’industrie automobile ou les entreprises de haute technologie. Désormais, les sanctions qui touchent la Russie, et de nombreuses firmes, font grimper les prix des matières premières et perturbent les marchés internationaux.

« La sĂ©curitĂ© Ă©nergĂ©tique se place au mĂŞme plan que la transition Ă©nergĂ©tique en tant que prioritĂ© mondiale Â», lance Larry Fink. Il est persuadĂ© que les Ă©nergies renouvelables seront plus compĂ©titives avec la flambĂ©e des prix de l’énergie. « Ă€ plus long terme, je crois que les Ă©vĂ©nements rĂ©cents accĂ©lĂ©reront la transition vers des sources d’énergie plus vertes dans de nombreuses rĂ©gions du monde Â», assure enfin Larry Fink.

Guerre en Ukraine : les sanctions occidentales pourraient aboutir à la désintégration de la mondialisation
La guerre en Ukraine et les sanctions imposĂ©es Ă  la Russie sont en train de chambouler le commerce international. Il devrait dĂ©jĂ  s’écrouler de moitiĂ© en 2022, alerte l’Organisation mondiale du commerce (OMC). A plus long terme, c’est bien une « dĂ©sintĂ©gration Â» du système des Ă©changes mondiaux qui menacerait. Emergeraient alors deux blocs fondĂ©s sur des enjeux gĂ©opolitiques - un centrĂ© sur les États-Unis et un autre autour de la Chine - dont les Ă©changes entre eux seraient extrĂŞmement limitĂ©s. Un tel scĂ©nario rĂ©duirait le bien-ĂŞtre mondial en 2040 de 5%. DĂ©cryptage.
Maxime Hanssen
12 Avr 2022, La Tribune

Des économistes anticipent un découplage potentiel du système commercial mondial en deux blocs - un bloc centré sur les États-Unis et un bloc centré sur la Chine. Au cœur de ces blocs, les intérêts géopolitiques de chaque pays.
Des Ă©conomistes anticipent un « dĂ©couplage potentiel du système commercial mondial en deux blocs - un bloc centrĂ© sur les États-Unis et un bloc centrĂ© sur la Chine Â». Au cĹ“ur de ces blocs, les intĂ©rĂŞts gĂ©opolitiques de chaque pays. (CrĂ©dits : Reuters)
La pandémie de Covid-19, qui avait bloqué l’économie planétaire, a souligné les limites de la mondialisation et réveillé les interdépendances entre les pays - notamment européens - aux chaînes d’approvisionnement et logistiques asiatiques et particulièrement chinoises, notamment dans le domaine technologique.

La guerre en Ukraine et ses conséquences pourraient bien signer un nouveau coup d’arrêt à la mondialisation, et remettre profondément en cause ce modèle de développement international bâti depuis la Seconde guerre mondiale, puis accéléré avec la chute du bloc soviétique. Ce modèle est basé sur l’ouverture des marchés et le libre-commerce.

La mondialisation, après avoir concouru Ă  la hausse mondiale du niveau de vie, Ă©tait rĂ©cemment mise Ă  mal par la montĂ©e des inĂ©galitĂ©s dans les pays riches portĂ©e notamment par la question des « gagnants et des perdants Â» du libre-Ă©change, comme expliquĂ© par l’économiste Dani Rodrick. La guerre que se livrent les Etats-Unis et la Chine, dans la course au leadership Ă©conomique mondial, menaçait Ă©galement les règles de la coopĂ©ration internationale fondĂ©e sur le gagnant-gagnant. DĂ©sormais, les sanctions imposĂ©es par l’Occident dans le cadre de l’invasion russe en Ukraine pourraient bien accĂ©lĂ©rer le processus de dĂ©mondialisation et l’émergence de nouveaux blocs.

Le commerce internationale vacille déjà
Lundi soir, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’est en effet fendue d’une Ă©tude dans laquelle elle pointe le risque de « dĂ©sintĂ©gration de l’économie mondiale Â» gĂ©nĂ©rĂ©e par la guerre en Ukraine. L’organisation redoute l’apparition de plusieurs blocs qui pourraient mettre en pĂ©ril le commerce international. Un autre Ă©tude publiĂ© par deux Ă©conomistes le 29 mars donne un peu plus de contenu quant Ă  ce bouleversement mondial et Ă  ses rĂ©percussion sur le bien-ĂŞtre des Ă©conomies (welfare), estimant les pertes d’ici 2040 Ă  5% en moyenne, et jusqu’à 10% dans certaines rĂ©gions du monde. En cause, notamment, le retour de barrières douanières importantes dans le cadre de l’émergence de deux blocs autour desquels se rĂ©organiserait le commerce mondial.

A court-terme, la guerre en Ukraine devrait d’ores et dĂ©jĂ  effacer la moitiĂ© de la croissance du commerce mondial attendue en 2022, c’est-Ă -dire les Ă©changes entre les diffĂ©rents pays, estime l’OMC. Cette croissance devrait s’établir entre 2,4% et 3%. En octobre, l’OMC tablait sur une hausse de 4,7% des Ă©changes mondiaux. Parmi les mĂ©canismes dĂ©voilĂ©s par l’organisation pour expliquer cette chute, l’OMC note que « les sanctions [occidentales, NDLR] impactent directement les flux internationaux Â» et la « variation des prix relatifs (les prix internationaux augmentent plus rapidement que les prix intĂ©rieurs, NDLR) peuvent conduire Ă  une certaine rĂ©affectation de la consommation des biens manufacturĂ©s Ă©changĂ©s vers les services. Â»

En conséquence, selon cette première étude de l’OMC, la crise devrait ramener la croissance du PIB mondial à un niveau compris entre 3,1% et 3,7% cette année. De son côté, l’OCDE a publié le 17 mars une première estimation plus alarmante. L’organisation estime que la croissance économique mondiale pourrait être inférieure de plus de 1 point. Fin décembre 2021, l’institution tablait sur une croissance du PIB mondial de 4,5%. Ce qui signifie que ce conflit pourrait amputer l’économie mondiale d’environ 800 milliards de dollars. A long terme, les économistes de l’OCDE alerte sur une chute brutale de 5% de la croissance du PIB mondial.

Ukraine et Russie : des poids-plumes mais essentiels
Selon l’analyse effectuĂ©e par le secrĂ©tariat de l’OMC, « le gros des souffrances et des destructions est ressenti par le peuple ukrainien, mais les coĂ»ts en termes de rĂ©duction des Ă©changes et de production seront probablement ressentis par les populations du monde entier en raison de la hausse des prix des denrĂ©es alimentaires et de l’énergie et de la rĂ©duction de la disponibilitĂ© des marchandises exportĂ©es par la Russie et l’Ukraine Â».

MĂŞme si le poids de l’Ukraine dans l’économie planĂ©taire demeure relativement limitĂ©, sa spĂ©cialisation dans certaines matières premières et les dommages collatĂ©raux du conflit provoquent une onde de choc dans l’économie mondialisĂ©e. Selon l’OMC, les deux pays ont distribuĂ© en 2019 environ 25% du blĂ© mondial, 15% de l’orge et 45% du tournesol. A elle seule, la Russie reprĂ©sente 9,4% du commerce mondial des carburants, une part qui s’élève Ă  20% pour le gaz naturel. Moscou et Kiev sont Ă©galement des « fournisseurs clĂ©s d’intrants dans les chaĂ®nes de valeur industrielles Â», indique l’OMC dans son rapport.

La Russie est ainsi l’un des principaux fournisseurs mondiaux de palladium et de rhodium, utilisés dans l’industrie automobile, représentant 26% de la demande mondiale d’importation de palladium en 2019. La production de semi-conducteurs dépend en outre dans une large mesure du néon qui est fourni par l’Ukraine.

L’Europe sera une région affectée par les conséquences économiques de l’invasion russe, ajoute l’organisation internationale, en raison de ses liens économiques et énergétiques étroits avec la Russie, particulièrement concernant les États ayant une frontière avec Moscou ou Kiev. Selon le rapport de l’OMC, 51,5% des exportations globales russes étaient à destination de l’Europe en 2021 et 49,2% pour l’Ukraine. L’Afrique et le Moyen-Orient sont les régions les plus vulnérables selon l’OMC, car elles importent plus de 50% de leurs besoins en céréales d’Ukraine et de Russie.

Le commerce mondial demain divisé en deux blocs étanches ?
Mais ces consĂ©quences immĂ©diates pourraient bien dessiner en creux un basculement plus profond, ce que dĂ©signe le terme « dĂ©sintĂ©gration de l’économie mondiale Â», Ă©voquĂ© par l’OMC. Deux Ă©conomistes, Eddy Bekkers (OMC) et Carlos GĂłes (UniversitĂ© de San Diego), ont tentĂ© de cartographier ce nouvel Ă©quilibre mondial qui pourrait s’installer. Les auteurs anticipent un « dĂ©couplage potentiel du système commercial mondial en deux blocs - un bloc centrĂ© sur les États-Unis et un bloc centrĂ© sur la Chine Â». Au cĹ“ur de ces blocs, les intĂ©rĂŞts gĂ©opolitiques de chaque pays.

Pour ces deux chercheurs, qui se basent sur l’indice de politique Ă©trangère de l’ONU, l’Europe, le Canada, l’Australie, le Japon, la CorĂ©e du Sud tomberaient dans le bloc occidental portĂ© par les Etats-Unis. L’AmĂ©rique latine et l’Afrique subsaharienne se situent quelque part entre les deux, la première Ă©tant plus proche des États-Unis que la seconde. L’Inde, la Russie et la majeure partie de l’Afrique du Nord et de l’Asie du Sud-Est se rapprochent de la Chine. De son cĂ´tĂ©, l’OMC estime « qu’il pourrait y avoir encore plus de blocs car certains pays pourraient trouver gĂŞnant d’appartenir Ă  l’un ou l’autre bloc tandis que d’autres pourraient vouloir appartenir Ă  plus d’un bloc. Â»

Blocs mondialisation

La dynamique semble dĂ©jĂ  Ă  l’œuvre. La Russie, de mĂŞme que le BĂ©larus, sont dĂ©sormais exclus du principe de rĂ©ciprocitĂ© de libre-Ă©change avec les États-Unis. Ils rejoignent ainsi le cercle très fermĂ© des pays au statut commercial rĂ©voquĂ©, comme Cuba et la CorĂ©e du Nord. Et depuis l’instauration des sanctions occidentales contre la Russie, Moscou se tourne de plus en plus vers la Chine, oĂą le commerce entre les deux pays a explosĂ© depuis le dĂ©but de la guerre. Le Parti communiste chinois expliquait ĂŞtre impatient « de travailler avec la Russie pour porter les relations sino-russes Ă  un degrĂ© supĂ©rieur dans une nouvelle ère Â». Le Kremlin regarde Ă©galement de plus en plus vers l’Inde. Ce pays offre un dĂ©bouchĂ© pour le pĂ©trole russe boycottĂ© par les puissances occidentales, qui lui vend Ă  un prix attractif. Ce mouvement qui progresse, n’est pas nouveau, rappelait dans nos colonnes l’économiste Jacques Sapir, qui estimait que « pour la Russie se tourner vers l’Asie est devenu primordial pour sa libertĂ© de manĹ“uvre Â».

Des échanges mondiaux qui pourraient grimper 160%
Au sein de ces futurs et potentiels blocs, les barrières tarifaires resteraient limitées, permettant de maintenir des échanges intra-blocs conséquents. Mais, selon les auteurs, le commerce entre blocs pourraient s’effondrer de 98%. Et les coûts du commerce entre les blocs rivaux progresseraient de 160% dans le scénario le plus pessimiste à une augmentation plus contenue de l’ordre de 32%. En cause, notamment la hausse des barrières douanières mais également la disparition de certains avantages engendrés par le multilatéralisme commercial, comme les économies d’échelle.

Cette fragmentation du commerce mondial induirait une diminution substantielle du bien-être pour tous les pays, notent les deux économistes. Les effets sont cependant asymétriques. Alors que les pertes varieraient entre entre -1% et -8% (médiane : -4 %), dans le bloc occidental, elles sont comprises entre -8 % et -11 % (médiane : - 10,5 %) dans le bloc asiatique, avec une perte de revenu réel projetée à l’échelle mondiale d’environ 5%.

L’accès à l’innovation expliquerait la baisse de niveau de vie des pays du bloc oriental
Comment expliquer une telle diffĂ©rence ? La capacitĂ© d’innovation est au cĹ“ur du propos, soulignent les auteurs. « En coupant les liens avec des marchĂ©s plus riches et innovants, les pays du bloc oriental rĂ©orientent leurs chaĂ®nes d’approvisionnement vers des produits de moindre qualitĂ©, qui, Ă  leur tour, induisent moins d’innovation. En revanche, alors que les pays du bloc occidental subissent Ă©galement des pertes de bien-ĂŞtre, leurs trajectoires d’innovation semblent pratiquement inchangĂ©es après le dĂ©couplage Â». Et en rĂ©duisant leurs capacitĂ©s d’innovation, ces pays amputent leurs gains de productivitĂ©. « Ainsi, les pays du bloc de l’Est qui ont actuellement un niveau de productivitĂ© plus faible et qui ont des liens plus importants avec des pays innovants ont des pertes plus importantes Â», projettent-ils.
Maxime Hanssen