Japon - J'y vais ? J'en sors... ou j'y reste?

[i]Bonjour à tous de Tokyo … ou, plutôt, bon réveil pour les plus matinaux !

Pour les indécis sur le Japon, voici une analyse éco, une comme tant d’autres, bien sur, mais qui a l’avantage d’être du terrain… Pour le reste à vous d’apprécier mais toujours en se rappelant que le sens des marchés ne suit pas toujours la logique économique… [/i]

Abenomics” : le bon remède pour relancer l’économie japonaise?

En décembre 2012, au terme d’élections législatives partielles, Shinzo Abe est devenu Premier ministre, réinstallant au pouvoir le Parti Libéral Démocrate après trois ans d’opposition. Durant sa campagne électorale, M. Abe a juré de revitaliser l’économie japonaise et de mettre un terme à vingt années de déflation et d’incertitude politique et stratégique. Depuis, il mène une politique contraire à toutes celles suivies par les pays dans une situation similaire, notamment les pays européens. Les trois principales mesures économiques du gouvernement Abe, baptisées « Abenomics » par la presse, sont connues au Japon comme les « trois flèches » qu’il entend décocher pour remettre le pays sur pieds : la dépense budgétaire, l’assouplissement monétaire et l’introduction du Japon dans la mondialisation par l’ouverture de son marché intérieur. Ce modèle est-il le bon dans une société vieillissante ? Cette « cure » est-elle viable sur le long terme ? Philippe Avril, CEO and Representative Director de BNP Paribas Securities Japan a analysé pour nous la politique économique japonaise actuelle lors d’une conférence organisée le 11 mars 2013 par la CCIFJ et intitulée « Will Abenomics cure the Japanese economy ? ». Sans prétendre apporter de réponses, il a tenté d’établir des scenarii possibles à court et plus long terme.

Philippe Avril est d’abord revenu sur l’état de l’économie japonaise aujourd’hui. Après vingt ans de déflation et de croissance faible, elle n’en demeure pas moins la 3e économie mondiale après les États-Unis et la Chine (hors zone euro), et son PIB est deux fois plus important que celui de la France. Même si elle a accusé une forte baisse à partir des années 90, l’économie japonaise a toujours été en croissance si l’on s’attache au PIB per capita. Mais cette croissance demeure faible, souligne Philippe Avril, en raison du vieillissement de la société et de la baisse constante de la population active depuis les années 90. Car si la population nippone a doublé entre l’après-guerre et les années 2000, on estime qu’elle retrouvera son niveau initial d’ici à 2050. Cette tendance a eu pour effet un gonflement de la dette publique, dès la fin des années 80, généré simultanément par un pic de dépenses publiques, l’absence de réformes fiscales et l’effondrement des revenus provenant de l’impôt. Hormis l’après « Lehman Choc » de 2007 à 2009, le Japon a connu à partir de ce moment une appréciation forte et continue du yen, dont le taux de change nominal a plus que doublé entre 1986 et 2012. Selon Philippe Avril, cette tendance a eu une influence certaine sur la faiblesse de la croissance du pays, mesurant toutefois que « le débat sur le yen fort ne peut être le seul ». Il note d’autre part que le niveau réel du yen, une fois corrigé des variations de la déflation (tandis que les coûts baissent au Japon, ils continuent de progresser dans le reste du monde) est encore en-deçà de sa moyenne des 20 dernières années.

Philippe Avril insiste sur le fait que chaque gouvernement, chaque année, a proposé un plan budgétaire dans le but de soutenir l’économie. Celui de Shinzo Abe (sa première « flèche ») est le second plus important depuis les années 90. Le Premier ministre a annoncé en janvier vouloir injecter 10 000 milliards de yens dans un plan de relance publique.

Seconde flèche : faire adopter par la BoJ (Bank of Japan) un objectif de 2% d’inflation, contre 1% auparavant, sous peine d’ôter son statut indépendant à l’institution. Philippe Avril questionne toutefois la marge de manœuvre réelle de la BoJ. Selon lui, l’augmentation des achats de bons du Trésor mais aussi d’obligations de sociétés ou de FNB ne peuvent être réalisés à une large échelle, au risque d’affaiblir le capital de la BoJ et de mettre en danger la crédibilité de la monnaie. Quant à l’achat d’obligations internationales, Philippe Avril juge la probabilité faible. Il estime que la cible des 2% ne pourra être atteinte via les seuls efforts de la BoJ.
La stratégie de croissance (troisième « flèche ») n’est quant à elle pas encore bien définie. La mise en place de mesures destinées à faire intervenir pleinement les femmes dans l’économie ont été annoncées, et les négociations de partenariats de libre-échange avec des pays d’Asie Pacifique (PTP) et l’Union Européenne (EPA), aujourd’hui à l’état de discussions, pourraient faire partie du plan de relance. Mais cela prendra du temps.

Quels seront les effets de cette politique sur le long terme ? Philippe Avril avance trois scenarii.

Le plus probable selon lui est celui de la monétisation, qui passera par l’achat massif d’obligations d’état dans le but de booster l’économie. Ce scénario présente **l’intérêt à court terme de créer un effet de « bulle » favorable à l’achat d’actions et aux taux d’intérêts faibles. **La BoJ, en faisant tourner la planche à billets, pourrait neutraliser les émissions de dette via l’achat additionnel de bons du trésor. Le plein emploi (estimé à un taux de chômage de 3,5%) pourrait être atteint en 2015 (le chômage est aujourd’hui à 4,2%), ce qui pousserait les salaires à la hausse. Philippe Avril met cependant en garde contre ce scénario « vertueux sur le court terme, douloureux sur le long terme », qui présente de nombreux risques parmi lesquels une croissance faible, une forte inflation (en partie due à la hausse des salaires) et des taux d’intérêts continuellement élevés. Les conséquences pourraient être catastrophiques : crise de la dette, crise bancaire, perte de l’épargne et baisse considérable du niveau de vie.
Le second scénario analysé par Philippe Avril est celui de la dépréciation continue du yen. L’élasticité du PIB par rapport au taux de change montre qu’une dépréciation du yen de 10% sur deux années consécutives augmenterait le PIB de 0.3% la première année et de 0.6% la seconde année. Pour Philippe Avril, si ce scénario représente une probabilité plus faible que le premier, il présente cependant des effets secondaires potentiels à ne pas négliger. La dépréciation continue de la monnaie nippone pourrait créer des tensions à l’international et favoriser la mise en place de nouvelles barrières commerciales. Elle pourrait également engendrer de fortes distorsions dans la distribution des revenus dans le pays, en maintenant des profits élevés pour les principaux fabricants exportateurs sans toutefois que le pouvoir d’achat réel des consommateurs n’augmente en conséquence. La question du coût de l’énergie importée est également critique dans un contexte post 11 mars 2011 de déficit commercial. Pour Philippe Avril, la baisse continue du yen risque d’enfermer le pays dans un cercle vicieux favorisant l’inflation importée, la hausse des taux d’intérêts à long terme et la vente d’actifs en yens, qui eux même continueraient d’affaiblir la monnaie. Philippe Avril souligne que l’impact des exportations ne saurait compenser celui des importations.
Le dernier scénario qu’il envisage enfin concerne les stratégies de croissance possibles pour l’Archipel. Si la productivité dans le secteur manufacturier demeure très haute depuis les années 80, il n’en va pas de même des autres industries. L’ouverture de l’économie, via des partenariats de libre-échange comme le PTP, pourrait forcer les acteurs locaux devenir plus compétitifs. Mais le Japon demeure un pays relativement peu dépendant du commerce international et la mise en place de nouveaux modèles prend du temps. Si l’on croit que beaucoup de problèmes de l’économie sont dus au déclin de la population active, il y aurait alors un potentiel important dans l’emploi des femmes, des seniors, mais peut-être aussi des travailleurs immigrés, avance Philippe Avril. L’hypothèse est cependant peu probable, pour des raisons culturelles et politiques.

Pour Philippe Avril, l’hypothèse de la monétisation demeure la plus vraisemblable. « J’espère que les politiques la comprennent et en connaissent les risques », avance-t-il, ajoutant que « ce scénario est loin d’être le meilleur mais c’est peut-être le seul ». Il ose toutefois un scénario alternatif plus optimiste, dans lequel le voisin chinois conserverait un taux de croissance fort et ou le Japon et Chine surmonteraient leurs problèmes politiques pour développer leur niveau de coopération économique et d’échanges commerciaux.
Il souligne que le gouvernement japonais aurait un intérêt majeur dans tous les cas à maintenir une balance des paiements positive pour assurer que le refinancement de la dette publique puisse être couvert par l’épargne domestique sans avoir à dépendre de manière excessive des investisseurs étrangers. Maintenir des excédents commerciaux avec la Chine et des revenus financiers importants des investissements japonais à l’étranger est fondamental pour supporter les dépenses du gouvernement et éviter une crise financière a moyen terme. « Ce scénario n’est pas le plus facile, mais il n’est pas complètement perdu », conclut-il.