Un article paru dans Le Monde hier 20/01 :
[b]Finance : pris dans le scandale H2O, filiale de Natixis, les épargnants se rebiffent
En raison des placements sulfureux de ce fonds spéculatif français, des milliers de particuliers lésés ne peuvent plus accéder à leurs économies.[/b]
« Je pourrais encore en parler longtemps : c’est un roman ! » Interrogé par la commission des finances du Sénat en mars 2021, Robert Ophèle, le président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), se montre intarissable sur le scandale financier H2O Asset Management (AM), un fonds spéculatif à la française, filiale de Natixis (groupe Banque populaire Caisse d’épargne), mis en difficulté par des investissements hasardeux.
Ce « roman », Agnès Pratviel, retraitée de la région de Grenoble, ancienne secrétaire administrative à l’hôpital, y a pris part, à son corps défendant. Comme plusieurs dizaines de milliers d’épargnants en France, en Europe et au-delà, elle a placé une partie de ses économies dans des fonds H2O, par le biais d’une assurance-vie. Sa conseillère en gestion de patrimoine lui a recommandé cet investissement. « Elle nous a dit que ces fonds étaient sûrs, qu’ils surperformaient en permanence. Idéal si nous voulions booster notre épargne », souligne son mari, Jean-Pierre Pratviel. Mais quand le couple constate une sous-performance, à l’été 2020, et veut s’en débarrasser, « elle nous a dit qu’on ne pouvait pas vendre ». Sur les 10 400 euros investis, quelque 1 800 euros restent en effet bloqués. « Je n’ai toujours pas compris pourquoi », déplore M. Pratviel.
En mai 2020, Véronique Lajoinie, enseignante à la retraite dans le Calvados, a investi 5 700 euros dans des fonds H2O, également à travers une assurance-vie proposée par un conseiller en gestion de patrimoine. « Aujourd’hui, j’ai 1 400 euros dehors, gelés dans des side pockets [fonds cantonnés], s’alarme-t-elle. Or je ne sais pas comment suivre ça, je n’y connais rien, je suis plutôt une littéraire. Je voulais bien prendre un peu de risques, mais pas tant que ça. »
Paris à quitte ou double
Les petits épargnants sont loin d’avoir été les seuls piégés par le scandale financier H2O. De très gros patrimoines en font également les frais. Jean-Luc Durand, ancien avocat de 56 ans, a d’abord gagné beaucoup d’argent grâce à H2O. « De 2012 à 2020, tout se passait bien, avec 10 % en moyenne de plus-values par an, reconnaît-il. Jusqu’à ce que je découvre dans la presse un avertissement de l’AMF, en 2020. Mon conseiller en gestion de patrimoine, qui a lui même beaucoup investi dans H2O, n’était informé de rien. »
Pendant près de dix ans, la société de gestion d’actifs créée à Londres en 2010 a en effet fait gagner beaucoup à ceux qui lui ont confié leur argent. Le patron de H2O AM, Bruno Crastes, gérant star, cow-boy des marchés financiers, réalise des performances hors du commun en prenant des paris, par exemple sur la dette grecque, à quitte ou double. Avant que le vent tourne. Le banquier a choisi d’appeler sa « boutique » H2O pour mettre en avant la bonne liquidité de ses fonds, c’est-à-dire la rapidité d’achat et de vente des actifs.
Pourtant, à partir de 2015, la société commence à acheter des dettes privées (non cotées, donc très peu liquides) émises par des entreprises du groupe Tennor, fondé par un sulfureux homme d’affaires allemand, Lars Windhorst. Il a à son passif deux faillites, a été poursuivi pour fraude, détournement de fonds et abus de confiance, et les sociétés de sa holding sont en difficulté.
Les problèmes commencent lorsque, en juin 2019, le Financial Times mentionne dans un article les liens étroits entre H2O AM et Lars Windhorst. Aussitôt, le groupe d’évaluation financière Morningstar suspend la notation d’un fonds H2O, « la concentration des placements sur une série de sociétés liées au même individu » étant « une source d’inquiétude ». S’ensuit un début de panique chez les investisseurs et des retraits massifs chez H2O, de l’ordre de 8 milliards d’euros en quelques jours, sur un total de 34 milliards d’encours. Ce mouvement augmente proportionnellement les expositions aux actifs illiquides de Lars Windhorst.
La situation devient intenable lorsque, en mars 2020, au début la crise sanitaire, la chute brutale des marchés financiers entraîne une forte perte de valeur des actifs liquides. La proportion des actifs illiquides dans le total devient trop importante. Impossible d’attribuer une valeur à ces titres, devenus invendables. En août 2020, l’AMF intervient pour demander la suspension de plusieurs fonds H2O, rendant impossibles dépôts et retraits. Quelques mois plus tard, en octobre, une scission se produit au sein de ces fonds pour cantonner la partie illiquide (la dette du groupe Tennor), placée en liquidation. Depuis un an et demi, les avoirs de dizaines de milliers d’épargnants se retrouvent ainsi bloqués dans ces side pockets. Qui plus est, leur valeur estimée par H2O a été violemment décotée, au 31 décembre 2021.
« Une valorisation artificielle »
« En août 2020, j’avais 195 000 euros bloqués dans les side pockets. Aujourd’hui, cela vaut 117 000 euros, constate Jean-Luc Durand. Mais il s’agit là d’une valorisation artificielle, ça ne vaut en réalité certainement plus rien. » Comme plusieurs centaines d’épargnants, ce gros investisseur a décidé de rejoindre l’association Collectif porteurs H2O, pour tenter de récupérer ses fonds. « Nous estimons que H2O a acheté 2,8 milliards d’euros d’obligations du groupe Tennor et que, aujourd’hui, cet investissement ne vaut plus que 1 milliard d’euros, après la dernière décote », relève le président de cette association, Gérard Maurin, conseiller en gestion de patrimoine, qui détient 15 000 euros bloqués dans les fonds cantonnés.
« Ces 2 milliards manquants, je suis convaincu qu’on ne les retrouvera pas, pronostique-t-il, car Tennor a été mis en faillite en novembre [2021] pour une créance de 30 millions d’euros, signe qu’il n’y a plus du tout d’argent. » Un tribunal néerlandais avait alors déclaré la holding du groupe Tennor en cessation de paiements. Une décision finalement annulée en seconde instance, en décembre, Lars Windhorst étant parvenu à obtenir de ses créanciers un moratoire de six mois.
Des rebondissements dont les épargnants lésés ignorent tout, la plupart du temps. H2O AM limite strictement ses communications sur l’affaire, estimant qu’il s’agit du meilleur moyen de récupérer l’argent de ses clients. L’AMF se garde de tout commentaire. Quant à Natixis, il travaille activement à se désengager du capital de sa filiale H2O. Faute d’interlocuteurs, le Collectif porteurs H2O s’est tourné vers le tribunal de commerce de Paris, afin que soit désigné un expert pour quantifier le préjudice subi. « Notre dénouement idéal, avance Gérard Maurin, serait la création d’un fonds pour dédommager les épargnants, sur le modèle du fonds pour les victimes de [Bernard] Madoff. »