Le socle de l’épargne des Français, l’assurance-vie en euros, souffre du contexte de taux d’intérêt de plus en plus bas, voire négatifs. Le contexte est de moins en moins propice à ce produit, dont la principale qualité est de garantir le capital. Comment peuvent-ils traverser ce cycle ?
Par Marie-Christine Sonkin
Publié le 10 oct. 2019 à 15h27
Mis à jour le 10 oct. 2019 à 15h39
En annonçant une baisse très significative du rendement servi par les fonds en euros (voir « Les Echos » du 24 septembre), l’assureur Generali a jeté dans la mare le pavé que nombre de ses confrères conservent en fonds de cale. Car tous sont confrontés au même problème : l’inéluctable baisse de rendement des fonds en euros.
L’équation est simple. Fin 2018, les fonds en euros à capital garanti étaient composés, selon Good Value for Money, de 80 % d’obligations, dont 42 % de dette souveraine. Et les taux n’ont cessé de chuter… Jusqu’à passer en territoire négatif. L’OAT 10 ans oscille ces jours-ci autour de - 0,28 %… Difficile, dans ces conditions, de continuer à servir un rendement positif. Pourtant, en 2018, les fonds en euros ont encore rapporté 1,80 % en moyenne, selon la Fédération française de l’assurance.
Comment un tel miracle est-il possible ? Grâce au matelas d’obligations anciennes accumulé par les assureurs, assorties d’un bien meilleur rendement que les emprunts actuels. La diversification fait le reste (voir graphe). Mais la collecte sur les fonds en euros reste dynamique et la chute des rendements devrait s’accélérer. Les épargnants s’inquiètent. Leur placement favori serait-il en train de vaciller sur ses bases ?
1 Combien vont-ils rapporter en 2019 ?
« La baisse sera très probablement significative cette année, en raison du contexte de taux », assène Thibaut Cossenet, directeur de l’offre financière du Groupe Le Conservateur. « On peut comparer les fonds en euros à une boule de neige qui tombe depuis trente ans, au gré de la baisse des taux. Aujourd’hui, elle est presque arrivée au pied de la montagne et elle a pris une vitesse considérable, renchérit François Leneveu, président du directoire d’Altaprofits. Alors comment réagir ? Les assureurs veulent freiner la collecte en limitant les entrées, mais ça ne fait que reculer l’arrivée de quelques centaines de mètres. Par ailleurs, il existe certes des réserves, mais elles ne représentent que 3 à 4 % de rendement. Là aussi, on gagne quelques centaines de mètres, mais sans modifier l’issue », explique-t-il. Selon lui, le rendement moyen des fonds en euros pourrait descendre à 1,2 % en 2019.
Pour Cyrille Chartier-Kastler, fondateur de Good Value for Money (GVfM), prescripteur de contrats d’assurance, nous sommes sur une dynamique de baisse des rendements de 0,30 point par an. La moyenne pour 2019 devrait se situer entre 1,30 % et 1,40 % en 2019 pour descendre jusqu’à 0,5 % d’ici à cinq ans. « Plusieurs acteurs avaient tablé l’année dernière sur une remontée des taux. Trois assureurs avaient donc même rehaussé le rendement de leurs contrats par rapport à 2017 : CNP, Predica et BPCE Vie. Le contexte va les contraindre à faire machine arrière, estime-t-il. Nous sommes désormais dans un scénario à la japonaise de taux durablement très bas. »
2. Faut-il investir aujourd’hui dans un fonds en euros ?
« L’investissement sur un fonds en euros reste adapté pour l’épargnant qui ne veut prendre aucun risque en capital et qui accepte de réaliser un placement dont la rentabilité réelle nette d’inflation est négative. Pour valoriser durablement son patrimoine, l’épargnant doit se diversifier sur des unités de compte ou opter pour d’autres stratégies sans l’option de liquidité à gérer comme la tontine », estime Thibaut Cossenet, directeur de l’offre financière du Groupe Le Conservateur.
François Leneveu préconise, quant à lui, la règle du quatre-quarts : un quart de fonds en euros, un quart de supports immobilier papier (SCI, SCPI) et ce même si les prix sont élevés, un quart de fonds diversifiés en gestion pilotée et un quart en titre vifs avec notamment des valeurs dans le secteur du luxe qui seront génératrices de forts dividendes sur le long terme. « Cette allocation permet de rester serein et d’obtenir un bon rendement sans prendre de risques excessifs », affirme-t-il.
Mais le fonds en euros est loin d’avoir dit son dernier mot. « Il faut se méfier d’un éventuel krach boursier. Il vaut mieux gagner 0,5 % que perdre 15 % », martèle Cyrille Chartier Kastler.
3. Les fonds en euros peuvent-ils être fermés aux souscriptions ?
C’est tout à fait possible, car autorisé par le Code des Assurances. D’ailleurs, la filiale française de Generali fermera cette année deux de ses fonds en euros (France 2 et Euro Innovalia). « Il est possible de fermer les fonds en euros, mais, à mon sens, ce n’est pas une solution adéquate, affirme Thibaut Cossenet. Certes, c’est la fin de l’âge d’or du fonds en euro, mais ce n’est absolument pas la fin de l’assurance-vie, qui procure bien d’autres moteurs de performance. Le fonds en euros doit, selon nous, rester un support d’investissement disponible en expliquant ses tenants et aboutissants aux épargnants qui en assument les contreparties. »
D’autres assureurs réagissent en contraignant les nouveaux souscripteurs à investir une part significative de leurs versements sur des unités de compte . Les contrats sur lesquels on peut investir - du moins des sommes importantes - à 100 % sur la partie euros se font de plus en plus rares. On peut citer entre autres ceux d’Assurance-vie.com, de la Macif, de la MIF de l’Asac-Fapès. Mais aussi de l’Afer. Selon son président, Gérard Bekerman, il n’y a pas de contraintes de versements en UC. Il dément catégoriquement la rumeur selon laquelle il serait demandé aux apporteurs d’exiger un minimum de 20 % en unités de compte au-delà de 100.000 euros de versements.
4. Sont-ils devenus risqués malgré la garantie en capital ?
« Le premier risque des fonds en euros est d’abord de voir ce support rapporter moins que l’inflation de manière durable et devenir un placement qui ampute le pouvoir d’achat. Le deuxième risque est de voir appliquer la loi Sapin 2 qui permet un blocage des fonds en cas de remontée brutale des taux d’intérêt. Ce risque est peu probable dans les conditions actuelles, mais il faut en être conscient », souligne Thibaut Cossenet.
Par ailleurs, pour maintenir un rendement positif, les fonds en euros disposent d’une arme : la PPE, ou provision pour participation aux excédents. « Non pas parce qu’ils vont la distribuer, mais parce que cette réserve permet de contribuer à satisfaire les exigences de Solvabilité 2. Ces règles prudentielles contraignent les assureurs à mettre en face de leurs investissements en actions un équivalent de 40 % de fonds propres. En d’autres termes, avec 4 % de PPE, on peut investir 10 % du portefeuille en actions, explique Cyrille Chartier-Kastler. Le salut est dans cette diversification du portefeuille des fonds en euros qui permettra de tenir le rendement sur le long terme. Et la PPE augmente, car le rendement de l’actif des assureurs est nettement supérieur aux taux servis aux assurés. »
5. Faut-il transférer ses fonds sur un PER ?
« On n’a pas intérêt à se précipiter pour transférer son épargne sur un PER. Certes, il y a une petite carotte fiscale avec le doublement de l’abattement annuel sur les contrats d’assurance-vie qui seront transférés sur un PER, mais il faut analyser la fiscalité à la sortie », met en garde François Leneveu. Pour Thibaut Cossenet, il n’y a pas de solution universelle. « Dans une approche retraite, le PER présente de nombreux avantages, notamment fiscaux, ainsi que la possibilité de sortir en rente ou en capital fractionné. C’est un produit qui mérite d’être étudié. » Mais il conseille d’analyser l’opportunité de l’opération en fonction du profil et des objectifs patrimoniaux de chacun.
Pas d’enthousiasme excessif non plus du côté de Cyrille Chartier-Kastler qui recommande de prendre son temps et de ne pas négliger le fait que les fonds sur un PER - sauf cas spécifiques - sont bloqués jusqu’à la retraite alors qu’ils sont disponibles à tout moment sur un contrat d’assurance-vie individuel.
Marie-Christine Sonkin