Bien gérer son assurance-vie après 70 ans
Le régime fiscal change après cet anniversaire, mais le placement conserve encore tout son intérêt. Voici pourquoi.
LEROUX, ERIC
Une personne de 70 ans disposant encore, peu ou prou, d’une espérance de vie de 20 ans, il est possible de doubler un capital placé à 3,7 %, et de le tripler s’il est investi à 5,5 %.
PLACEMENT Outil hors pair de transmission de patrimoine, l’assurance-vie est imbattable au plan de l’impôt pour les sommes investies avant 70 ans. Les capitaux versés avant cet âge et transmis aux bénéficiaires désignés profitent en effet d’un abattement de 152 500 euros par personne, et l’éventuel excédent est taxé à 20 % jusqu’à 852 500 euros, puis 31,25 % au-delà. Ces abattements s’ajoutant à ceux de droit commun (100 000 euros par enfant, par exemple), les possibilités de faire échapper un héritage à l’impôt sont nombreuses, en particulier si la descendance est nombreuse.
À partir de 70 ans, la donne change en revanche radicalement, car les primes versées à compter de cet âge et transmises aux bénéficiaires suite au décès de l’assuré ne profitent plus que d’un abattement réduit, de 30 500 euros. Celui-ci doit en outre être partagé entre tous les bénéficiaires, et lorsque son montant est atteint les sommes excédentaires sont taxées au barème des droits de succession. Sur le papier, cela ne fait pas rêver, mais il ne faut pas s’arrêter aux apparences.
En effet, cet abattement s’ajoutant à ceux prévus pour les versements réalisés avant 70 ans, il permet d’augmenter le potentiel de défiscalisation pour les héritiers. Autant, donc, en profiter.
Surtout, « le fisc exonère de droits de succession les gains accumulés grâce à l’épargne investie et cela peut représenter des économies très importantes », explique Gilles Étienne, directeur de l’ingénierie patrimoniale chez Cyrus Conseil. Avec une espérance de vie de 20 ans, correspondant peu ou prou à celle d’une personne de 70 ans, il est en effet possible de doubler un capital placé à 3,7 % - un rendement qui impose aujourd’hui de prendre quelques risques -, et de le tripler s’il est investi à 5,5 %. En plaçant 1 million d’euros, qui seront en majeure partie imposables après l’abattement de 30 500 euros, il est donc possible d’espérer transmettre 1 ou 2 millions de gains qui, eux, ne supporteront pas le moindre droit de succession. « Dans certaines situations, cet avantage peut s’avérer plus important que celui accordé avant 70 ans », insiste Gilles Étienne.
Pour optimiser la transmission, et dans la mesure où cela correspond à des objectifs recherchés, il est également bon de passer en revue les bénéficiaires désignés dans les différents contrats, souscrits avant ou après 70 ans, en conservant à l’esprit un détail qui compte. Lorsque les abattements sont dépassés, les bénéficiaires des sommes investies avant 70 ans sont soumis à un taux d’imposition forfaitaire, quel que soit leur lien de parenté et les montants reçus (par exemple, 20 000 euros d’impôts pour un bénéficiaire qui reçoit 252 500 euros), alors que les versements après 70 ans entraînent une imposition au taux proportionnel et en fonction du lien de parenté (par exemple, 18 194 euros pour un enfant qui reçoit 100 000 euros au-dessus des abattements, mais 60 000 euros pour un concubin ou un « étranger » qui reçoit la même somme).
Mieux vaut donc la plupart du temps utiliser les contrats alimentés avant 70 ans pour doter les personnes les plus éloignées, petits-enfants ou « étrangers », et attribuer ceux alimentés après 70 ans aux enfants, qui bénéficient des plus larges abattements et du barème d’impôt le plus progressif.
Dans tous les cas, il est recommandé d’ouvrir au moins un nouveau contrat pour investir en assurance-vie après 70 ans, afin de ne pas « polluer » vos contrats précédents. Si vous avez besoin ultérieurement d’argent et désirez retirer une partie de votre épargne, vous pourrez ainsi vous concentrer sur le contrat ouvert après 70 ans et conserver intacts ceux alimentés avant cet âge afin de préserver leurs exonérations. Les professionnels recommandent, lorsque les montants investis sont importants, de les répartir sur plusieurs « polices » (il peut s’agit du même contrat), afin de pouvoir retirer de l’argent sur seulement l’un d’eux et échapper ainsi à un mode de calcul fiscal pénalisant, puisque l’administration ne tient pas compte des sommes retirées du vivant de l’assuré pour calculer le montant des impôts dus quand l’abattement de 30 500 euros est franchi.
Quoi qu’il en soit, l’assurance-vie n’est pas l’unique solution pour optimiser fiscalement une transmission après 70 ans. « Un particulier peut réaliser des libéralités de son vivant au profit de ses petits enfants à hauteur de 31 865 euros et certains actifs de droit commun bénéficient de régimes de faveur », rappelle Jean-François Lucq, directeur de l’ingénierie patrimoniale de Banque Richelieu. Parmi eux, les titres d’entreprises dans le cadre de la loi Dutreil, les bois, forêts et groupements forestiers. Différence importante avec l’assurance-vie : au plan civil, ces transmissions doivent respecter l’équilibre de la réserve héréditaire, alors que l’assurance-vie permet de s’en affranchir.
Si vous n’avez pas encore franchi le cap des 70 ans et que les contrats que vous détenez ne vous donnent pas satisfaction, rien ne vous empêche d’en changer sans subir de pénalité fiscale. Dans la mesure où vous réinvestissez ces sommes sur une nouvelle assurance-vie avant d’avoir passé le cap fatidique des 70 ans, elles profiteront exactement des mêmes avantages. Inutile, donc, de s’en priver.
Seuls cas qui doivent vous inciter à conserver un contrat, même décevant : ceux ouverts avant le 13 octobre 1998, qui sont totalement exonérés de droits de succession pour les sommes versées avant cette date et avant 70 ans, et surtout ceux souscrits avant le 20 novembre 1991 : ils permettent encore d’offrir un abattement de 152 500 euros à chaque bénéficiaire désigné et les taux forfaitaires pour l’excédent, même pour les cotisations investies après 70 ans. ■
Le Figaro - vendredi 24 mai 2019