2020, l’année où l’assurance-vie est tombée de son piédestal
La crise sanitaire a détournée les épargnants de ce produit. L’assurance-vie doit effectuer sa mue pour séduire à nouveau
JORGE CARASSO
ÉPARGNE Et si les Français, tétanisés par la crise, se détournaient pour de bon de l’assurance-vie ? Alors que l’argent versé sur les livrets A et les comptes courants n’a jamais été aussi élevé (130 milliards d’euros en 2020, selon la Banque de France), l’assurance-vie ne connaît pas le même sort.
Depuis le début de l’année, les Français ont, en effet, moins placé d’argent qu’ils n’ont retiré. Une première depuis de longues années. Le confinement a particulièrement pesé. Les établissements bancaires, de loin les principaux collecteurs, ont fermé ou limité leurs échanges avec leurs clients.
Ce n’est pas la seule raison de la désaffection. Dans un contexte de crise, les Français privilégient les placements immédiatement mobilisables. Or l’assurance-vie n’est pas perçue comme très liquide. « C’est un produit de transformation de l’épargne, pas d’attente comme le sont les livrets A ou les dépôts à vue », souligne Hugues Aubry, directeur de l’épargne et de la gestion de patrimoine chez Generali. Résultat, la collecte nette est dans le rouge depuis mars (- 7,3 milliards d’euros depuis janvier). La fin d’année signe un retour à l’équilibre, mais la moisson recule de 25 % par rapport à 2019.
La baisse continue des rendements du fonds en euros contribue à ce désamour. Il devrait offrir 1,10 % à 1,20 % en 2020 (contre 1,35 % en 2019). C’est trois fois moins qu’il y a dix ans. Quand l’on met bout à bout les frais d’entrée (0,5 % à 1 %) et la fiscalité (17,2 % de prélèvements sociaux et 7,5 % à la sortie au bout de huit ans), les gains n’ont rien de mirifiques.
Accès plus difficiles aux fonds euros
Autre frein, les clients qui le souhaitent n’ont plus accès aux fonds euros comme ils le voudraient. Les assureurs, pénalisés par des taux planchers et un cadre réglementaire plus strict, mettent désormais des barrières à l’entrée. Près de 30 % des versements doivent être placés sur des unités de comptes (UC), des supports financiers plus rentables mais sans garantie en capital. « Le fonds euros ne peut plus être le moteur principal du contrat. On en a besoin sur une partie mineure du contrat, pour la liquidité. Mais il faut être capable d’avoir une palette de supports pour créer de la performance sans volatilité extrême », fait valoir Hugues Aubry.
Pour autant, les Français n’aiment pas le risque, et ces transformations bousculent leurs habitudes. « Les clients comprennent les raisons du changement, mais ça ne veut pas dire que ça leur plaît », souligne David Charlet, président de l’Anacofi, une des principales associations de conseillers en gestion de patrimoine. L’assurance-vie reste la pierre angulaire de leur patrimoine, avec 1 785 milliards d’euros détenus, dont 80 % de fonds euros. « En limitant la collecte, les assureurs se tirent une balle dans le pied. L’avenir de l’assurance-vie passe par le fonds en euros, c’est ce que vient chercher l’épargnant », poursuit Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du site spécialisé Good Value for Money.
Dans le contexte actuel de taux bas, l’assurance-vie en euros n’est plus le couteau suisse qui permet à la fois rendement, liquidité et garantie en capital. Il faut faire une croix sur au moins un des trois piliers. C’est ainsi que des produits hybrides ont vu le jour ces derniers mois. Certains assureurs jouent sur la garantie (le capital n’est pas garanti à 100 % mais à 98 %), ce qui leur laisse davantage de marge de manœuvre pour chercher du rendement.
Le contrat peut aussi être garanti à échéance, au bout de huit ans par exemple. C’est le principe du fonds euro-croissance, modifié par la loi Pacte. Mais la collecte n’est pas forcément au rendez-vous. « Il y a un effort de pédagogie pour expliquer ces nouveaux fonds en euros et en quoi c’est intéressant pour l’épargnant », appuie Cyrille Chartier-Kastler. Il en va du rendement des fonds euros, que les Français ne sont pas prêts à abandonner quand ils souscrivent une assurance-vie. J. C.
Le Figaro - mercredi 30 décembre 2020 edition abonnés